La mort de Juve (Смерть Жюва)
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Nalorgne disait tranquillement au chauffeur :
— D'ep^echez-vous, mon ami, nous sommes des agents de la S^uret'e, et vous avez pu voir que l’individu que nous emmenons porte des menottes. C’est un criminel dangereux. Il s’agit de ne pas perdre de temps. Je vais monter `a c^ot'e de vous sur le si`ege. Je vous indique le chemin.
Tandis que Fandor, tout yeux et tout oreilles, s’efforcait de saisir les moindres indices susceptibles de le renseigner sur la destination du taxim`etre, qui venait de d'emarrer, tandis qu’il se faisait cette r'eflexion que Nalorgne guidait le taxi-auto, non point dans la direction de Paris, mais vers les terrains d'eserts du Petit-Bic^etre, P'erouzin, `a l’improviste, tirait son revolver et le braquait sur le jeune homme :
— Maintenant, avait-il dit, t^achez de comprendre, Fandor, si vous vous permettez de faire un geste, de dire un mot, d’essayer d’attirer l’attention, je vous br^ule la cervelle. C’est l’ordre de Fant^omas. Si au contraire vous ^etes sage, et vous laissez mener l`a o`u nous vous conduisons, il ne vous sera fait aucun mal. Pour l’instant du moins.
P'erouzin, sans doute, s’attendait `a quelque geste apeur'e du journaliste, `a ce que le prisonnier, au moins, manifest^at une surprise. Ce fut lui, en r'ealit'e, qui demeura stupide sous le coup d’une stup'efaction sans bornes. En r'eponse `a sa menace, Fandor avait 'eclat'e de rire. Et Fandor riait, riait si fort, semblait s’amuser `a un tel point qu’une peur subite s’emparait de P'erouzin.
— Mais que diable avez-vous ? demandait l’agent, qui pour mieux le regarder dans les yeux, s’avancait sur sa banquette, tournait le dos au si`ege sur lequel 'etait assis Nalorgne et le conducteur.
Et alors dans la voiture il se d'eroula une sc`ene 'etrange. `A peine P'erouzin avait-il menac'e Fandor de son revolver que, brusquement, le journaliste levait ses deux mains attach'ees par les menottes aux poignets, les passait avec une rapidit'e folle derri`ere la t^ete de P'erouzin pris ainsi dans une sorte de collier, et Fandor attirait l’agent sur sa poitrine, lui serrait la t^ete sur ses v^etements avec une force que d'ecuplait la rage, il l’'etouffait `a moiti'e. P'erouzin, pris `a l’improviste, laissait 'echapper son revolver sur lequel Fandor s’empressait de mettre le pied, puis le journaliste hurlait :
— C’est fait, Juve, vous pouvez arr^eter.
Qu’est-ce que tout cela voulait donc dire ? Pourquoi avec une brusquerie soudaine le taxi-auto stoppait-il ? Pourquoi le conducteur sautait-il `a bas de son si`ege cependant que Nalorgne demeurait lui, immobile sur ce m^eme si`ege ? Le conducteur apr`es avoir immobilis'e son v'ehicule, avoir arr^et'e le moteur, – c’'etait visiblement un homme pr'ecautionneux —, courait `a la porti`ere voisine de Fandor. Il ouvrait cette porti`ere, il avait dans ses mains, de longues courroies, en une seconde, il avait li'e, de main de ma^itre, les pieds de P'erouzin, en une seconde, il lui avait ligot'e les bras :
— Tu peux l^acher, Fandor. La b^ete enrag'ee est hors d’'etat de nuire.
Alors Fandor l^acha la t^ete du malheureux P'erouzin, tendit ses bras encore pris par les menottes au conducteur :
— Si ca ne vous fait rien, mon cher Juve, j’aurais un certain plaisir `a ce que vous me d'ebarrassiez de ces affaires-l`a. C’est incommode en diable.
Que s’'etait-il donc pass'e ?
***
— Mon petit Fandor, je suis content de te voir.
— Mon cher Juve, vous ^etes la plus d'etestable rosse que j’aie jamais rencontr'ee.
— Vraiment ? et pourquoi cela ?
— D’abord, vous n’^etes pas paralytique.
— Tu me le reproches, Fandor ?
— J’en aurais presque envie. Quand je pense que depuis six mois, vous vous faites soigner, dorloter, plaindre, par tout le monde, alors que vous vous portez comme le Pont-Neuf.
— Je t’expliquerai.
— Ensuite, je vous en veux pour la facon dont vous m’avez fait arr^eter.
— Je n’avais pas d’autres moyens, Fandor, pour te faire tenir tranquille.
— Possible, mais tout de m^eme.
— Il n’y a pas de tout de m^eme.
Depuis dix minutes, J'er^ome Fandor 'etait libre. Nalorgne, immobilis'e par des poucettes, que Juve lui avait pass'ees `a l’improviste, tout en conduisant de l’autre main le taxi-auto, avait 'et'e transport'e `a l’int'erieur de la voiture o`u il avait rejoint P'erouzin, atterr'e lui aussi. Et maintenant, Juve et Fandor, assis sur le si`ege, causaient, cependant que le v'ehicule expertement guid'e par Fandor allait bon train.
— Juve, continuait le journaliste, je ne comprends rien du tout `a ce qui se passe. D’abord, o`u me menez-vous ? Ensuite, comment ^etes-vous l`a ? Enfin qu’allons-nous faire de Nalorgne et de P'erouzin ?
— Proc'edons par ordre. Dis-moi d’abord ce qui t’es arriv'e depuis le moment o`u tu as si gentiment embarqu'e P'erouzin, et je te dirai ensuite…
En peu de mots, J'er^ome Fandor fit le r'ecit de ses propres aventures depuis le moment o`u Juve l’avait fait arr^eter `a Saint-Martin, jusqu’au moment o`u, en compagnie de Nalorgne et P'erouzin, il 'etait arriv'e `a Clamart.
— Ma parole, continuait Fandor, quand nous avons apercu votre taxi-auto, quand Nalorgne s’est pench'e en demandant :
— Et alors ?
— Et alors, bien entendu, je ne vous ai pas reconnu, mon bon Juve, car vous 'etiez sous votre voiture.
— Pr'ecis'ement pour que l’on ne me reconnaisse pas.
— Je suis donc mont'e docilement dans cette auto, et je m’attendais aux pires 'ev'enements, lorsque j’ai vu votre main, votre main droite qui, avec ostentation, frappait contre la vitre. Donc, votre signe de la main a attir'e mon attention sur la vitre du fiacre. J’y ai lu tout naturellement l’avis que vous aviez grav'e :
T’inqui`ete pas, Fandor, c’est moi, Juve, qui m`ene ce taxi-auto, t^ache d’immobiliser P'erouzin, je me charge de Nalorgne.
Je me suis acquitt'e de ma partie de concert. P'erouzin, qui ne s’attendait `a rien, a tr`es gentiment accept'e de venir dans mes bras, et ma foi, c’est tout. Mais comment diable ^etes-vous ici ?
Le taxi-auto filait toujours dans la nuit noire. De temps `a autre, Juve, d’un signe de la main, indiquait `a Fandor la direction qu’il importait de prendre, une direction bizarre qui rapprochait certainement le v'ehicule de Paris, mais qui, cependant, n’'etait pas le chemin le plus court pour gagner la Pr'efecture.
— Ah c`a, faisait-il, vas-tu me reprocher d’avoir remplac'e Prosper, car c’'etait Prosper qu’ils attendaient, sur la pr'esence duquel ils comptaient, ces bandits. Aimerais-tu mieux…
— Ne plaisantez donc pas, Juve, vous devriez comprendre mon impatience. Je vous quitte paralytique, je vous retrouve agile comme un z`ebre. J’arrive prisonnier et cinq minutes apr`es je suis libre, il y a bien de quoi…
— Tu n’es pas libre du tout, faisait-il tranquillement, tu es toujours sous le coup d’un mandat d’arr^et, ne l’oublie pas, un mandat d’arr^et sign'e par moi-m^eme.