Le mariage de Fant?mas (Свадьба Фантомаса)
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— N’ayez aucune appr'ehension, r'ep'eta-t-il, si fou que je sois, j’ai cependant le sentiment des convenances et je vous m`ene l`a seulement o`u je puis vous mener sans crainte de vous compromettre.
La porte coch`ere de la maison s’ouvrit, il fit passer Delphine Fargeaux, craqua une allumette-bougie, et `a la lueur tremblotante de la brindille de cire, guida la jeune femme au long d’un escalier tortueux, mis'erable :
— Il faut ^etre bien original, n’est-ce pas, pour avoir un pied-`a-terre dans une maison si peu luxueuse. Mais j’ai toujours 'et'e l’homme des contrastes. Ici, nul ne me conna^it parmi des importuns qui peuvent se vanter de serrer la main du baron Stolberg, et par cons'equent je suis s^ur d’^etre toujours tranquille, de toujours poss'eder la paix profonde des inconnus. Entrez, madame.
Delphine Fargeaux qui s’attendait `a p'en'etrer dans une 'el'egante garconni`ere, install'ee par originalit'e, en effet, dans une demeure populaire, entra dans une pauvre pi`ece, une sorte de salle `a manger minable et que divisait en son milieu un grand rideau, une sorte de tenture us'ee, rapi'ec'ee, suspendue par des anneaux `a moiti'e d'ecousus `a une tringle de fer :
— Voici mon palais. Asseyez-vous sur ce divan, je viens `a vos c^ot'es dans quelques secondes.
Il d'esignait du doigt une sorte de grand canap'e `a l’'etoffe d'ecousue et d'echir'ee, et, tandis que Delphine Fargeaux, de plus en plus stup'efaite, presque inqui`ete maintenant, y prenait place, il passait lui-m^eme de l’autre c^ot'e de la tenture, disparaissait aux yeux de la jeune femme.
— Mon Dieu, se demandait quelques instants plus tard Delphine Fargeaux, `a la lueur vacillante d’une lampe `a p'etrole pos'ee sur le coin d’une table, qu’est-ce que tout cela veut dire ?
Elle attendit longtemps, tr`es longtemps, puis, `a l’improviste, n’entendant plus bouger le baron, elle se sentit envahie d’une peur secr`ete contre laquelle elle essayait en vain de r'eagir.
— L’endroit est pauvre, se disait Delphine Fargeaux, 'ecart'e, dans un sinistre quartier. Pourquoi m’a-t-on conduite l`a ? Que va-t-il m’arriver ?
La pens'ee va vite chez qui a peur. Delphine Fargeaux, en une seconde, imagina, tout en s’en raillant, d’'etranges aventures. En somme, elle ne connaissait pas le baron Stolberg. Plus m^eme, elle l’avait rencontr'e en compagnie d’une femme qui 'etait un assassin. Et puis, c’'etait un Russe, et les Russes sont toujours un peu 'enigmatiques, un peu 'etranges, un peu effrayants.
Delphine Fargeaux se leva. D’une voix blanche, elle appela :
— Monsieur Stolberg, vous ^etes l`a ?
Mais, `a peine eut-elle cri'e, que la tenture violemment repouss'ee, s’ouvrait. Un homme apparaissait, les deux mains dans les poches, ricaneur, ironique, qui dit d’une voix br`eve et nette :
— M. Stolberg, le riche baron n’est plus l`a. Inutile de l’appeler. Inutile de crier, vous ^etes dans mes mains, en mon pouvoir, vous ^etes chez John, le cocher John !
Et c’'etait, en effet, un homme vulgaire, un palefrenier, `a en juger `a son pantalon de cheval, `a sa chemise `a carreaux, `a ses boutons de manchettes vulgaires en forme de fer `a cheval, qui s’avancait vers Delphine Fargeaux. La malheureuse, `a cet instant, pensa d'efaillir :
— Le cocher John ? s’'ecria-t-elle, le cocher John ?
Et elle contemplait les traits de son nouvel interlocuteur, se croyant victime d’un r^eve, d’une hallucination 'epouvantable.
Delphine Fargeaux frissonna, se sentit perdue. L’homme qui lui parlait, l’homme qui lui annoncait ^etre le cocher John, qui lui affirmait que Stolberg 'etait parti, c’'etait le m^eme homme, c’'etait Stolberg.
Sans doute, sa coiffure 'etait chang'ee, ses yeux eux-m^emes semblaient avoir une autre expression, mais elle ne pouvait pas se tromper `a la forme particuli`ere des sourcils, `a la ligne du nez, aux traits de la bouche.
— Vous, vous ^etes… ?
D’un geste de la main, l’homme la fit taire :
— Vous allez dire des b^etises, d'eclara-t-il, et j’aime autant vous emp^echer de les prononcer. Je suis John le cocher. Voil`a !
— Ca n’est pas vrai !
— Alors, tant pis pour vous. Puisque vous ne voulez pas admettre que je suis John, voici mon autre nom.
L’homme se croisa les bras, recula de trois pas, ses yeux se firent flamboyants, sa haute stature se redressa, il d'eclara lentement :
— Delphine Fargeaux, on m’appelle aussi Fant^omas.
Mais, cette fois, la malheureuse n’eut pas le temps d’articuler un mot. Affol'ee, 'eperdue, elle ne pouvait m^eme point hurler sa terreur, `a peine avait-il parl'e que Fant^omas – car le baron Stolberg et le cocher John, en effet, cachaient la seule et m^eme personnalit'e : celle de l’effroyable tortionnaire – se pr'ecipitait sur elle, la renversait violemment sur le canap'e, sautait `a genoux sur le meuble, et la maintenant immobile, l’'ecrasait de tout son poids, la b^aillonnait de force avec un long bandeau, d’o`u d'epassait un tampon d’ouate 'enorme.
Alors un r^ale, un r^ale lent, sinistre, interminable, commenca d’emplir la petite pi`ece qui servait de logement au cocher John. Delphine Fargeaux immobile, le visage congestionn'e, les yeux sortant de la t^ete, hurlait sous son b^aillon.
Mais Fant^omas vraiment ne paraissait en avoir nul souci. Il prit dans une petite armoire voisine, un mince flacon de verre jaune. Il le d'eboucha soigneusement, puis, le renversa tout entier sur le b^aillon de la malheureuse. Une odeur 'ecoeurante et fade de chloroforme satura l’atmosph`ere.
Quelques instants les rauques grondements de la b^aillonn'ee continu`erent, puis, ils furent moins distincts, plus faibles, puis ils se turent.
Endormie par le soporifique, priv'ee de sentiment, Delphine Fargeaux demeurait immobile, renvers'ee, presque morte. Fant^omas, debout devant elle, avait contempl'e l’'evanouissement progressif de la malheureuse jeune femme avec un froid sourire, Lorsque enfin, le r^ale s’arr^eta, il haussa les 'epaules, et simplement, d’un ton ind'efinissable, murmura :
— Et voil`a.
***
John, le cocher, 'etait `a genoux sur le sol de son taudis et s’occupait `a ficeler avec une corde solide le coffre en bois d’une haute horloge normande qu’il avait renvers'ee et bourr'ee de linge probablement.
`A ce moment des coups de pieds et des coups de poing 'ebranlaient la porte :
— Ouvre donc, bon Dieu de salaud ! Oh'e patron, voil`a l’'equipe !
Le cocher John se releva, r'epondant d’une voix faubourienne :