Le Voleur d'Or (Золотой вор)
Шрифт:
`A tout cela, l’Assistance fermait les yeux, ayant la hautaine indiff'erence des administrations qui estiment faire tout leur devoir en laissant aller les choses, `a la seule condition qu’elles sachent 'eviter les scandales par trop criards.
Le p`ere Martin, toutefois, ne s’estimait pas encore satisfait.
— Ce qu’il y a de stupide, disait-il, cependant qu’il remplissait d’un gros vin rouge deux 'enormes verres que le num'ero quatre venait d’apporter, ce qu’il y a de stupide, c’est que l’Assistance ne veut pas confier plus de sept pupilles au m^eme nourricier ! Cela emp^eche de s’agrandir. On est toujours limit'e dans son gain et, d’autre part, s’il y a un gosse qui claque, le temps qu’on vous le remplace, sans que ca ait l’air de rien, on a vite fait de perdre un mois !…
Il parlait de cela comme d’une chose fort naturelle et le facteur lui-m^eme, blas'e sur le c^ot'e cynique du m'etier dont vivait le pays, hochait la t^ete.
— Moi, confiait-il, si j’'etais pas dans l’administration, je ferais le m^eme truc que vous… Seulement, rapport aux risques, au lieu de prendre des pupilles de l’Assistance, je t^acherais de m’faire confier des enfants de bourgeois. Ca paye mieux, d’abord, et puis il y a les carottes qu’on peut tirer `a droite et `a gauche… Le rapport est plus gros.
`A cela, le p`ere Martin r'epondait d’un haussement d’'epaules :
— Peuh ! faisait-il, c’est bien possible, mais il y a joliment plus de peine aussi ! Avec l’Assistance, on est s^ur d’^etre pay'e, tandis qu’avec les bourgeois…
Justement, le num'ero quatre revenait, tra^inant un seau plus lourd que lui et s’appr^etant `a aller donner `a manger aux lapins que le m'enage Martin 'elevait.
— Tenez, c’morveux-l`a… continuait le p`ere Martin en d'esignant le gosse du doigt. Pr'ecis'ement, c’est pas un gosse de l’Assistance, il est `a trente francs de pension, ici. Eh bien ! c’est l’diable pour arriver `a avoir les thunes de sa m`ere… Oh ! mais, aussi, ca ne va pas durer comme ca !
Le facteur p^alit un peu, car il croyait deviner chez son interlocuteur quelque lugubre projet.
— Vous allez… ? demandait-il.
Mais le p`ere Martin lui coupa la parole.
— Non, pas avec les gosses de bourgeois. Ca fait des ennuis et il n’y a pas de combine… Tout simplement, je m’en vais le rendre `a sa m`ere, celui-l`a… si elle ne raque pas !
Le facteur, cependant, avait soulev'e sa bo^ite pour rejeter la courroie sur ses 'epaules.
— Eh bien ! bonne chance ! souhaitait-il. Moi, faut que je m’en aille, j’ai ma tourn'ee…
— Comme de juste ! approuva le p`ere Martin. Chacun ses emb^etements !
Et, `a l’instant o`u le facteur s’'eloignait, le p`ere Martin appelait :
— Le un !… le deux !… O`u diable ^etes-vous, vermine ? Arrive ici, num'ero six !
Le p`ere Martin habitait une sorte de baraquement tenant de la maisonnette et de la ferme de campagne. Cela ne comportait qu’un 'etage, 'etait sale `a faire fr'emir. La porte ouverte laissait s’exhaler des odeurs de boue, de crasse et de victuailles mal cuites. Tout autour de la maison, et close par une grande haie, se trouvait une sorte de courette dont le sol, fait de terre battue, 'etait d'efonc'e par endroits, ce qui faisait que les eaux de pluie stagnaient, verdissaient, croupissaient en paix. Des canards barbotaient dans ces flaques, des poules picoraient `a droite et `a gauche, tout un peuple de b^etes se sauvait en poussant des criaillements effar'es d`es qu’apparaissait le p`ere Martin.
Aux appels de celui-ci, cependant, une s'erie de bambins 'etaient arriv'es. Ils sortaient on ne savait d’o`u, des coins les plus extraordinaires. Tout leur paraissait bon, en effet, pour devenir une cachette, un endroit tranquille o`u se terrer, de facon `a 'eviter le plus possible les taloches et les coups de pied dont ils 'etaient incessamment gratifi'es.
Le p`ere Martin les examina d’un coup d’oeil et tout de suite s’emporta :
— Alors, quoi, faisait-il, il suffit qu’on cause deux minutes pour que vous vous d'ebiniez tous !… Ah ! mais… j’en ai assez, moi, `a la fin !… Si vous ne voulez pas gratter, s^ur que les verges vont parler !…
Et apr`es une pause destin'ee `a laisser comprendre sa menace, menace qui 'etait fr'equente d’ailleurs et que souvent il ex'ecutait, le p`ere Martin continuait :
— Allez, vermine !… Grouillez, nom d’un chien ! Faut que dans une heure ca soye 'epluch'e…
Il occupait les gosses `a 'ecosser des petits pois qui 'etaient livr'es ensuite `a une fabrique de conserves.
Les pauvres enfants, du matin au soir, devaient travailler. Les inspecteurs de l’Assistance n’avaient 'evidemment rien `a redire `a cette besogne qui paraissait douce et bien appropri'ee `a la force des bambins ; ils ne se doutaient pas que ceux-ci y 'etaient astreints de cinq heures du matin `a six heures du soir et que ce perp'etuel labeur devenait horriblement fatigant, ab^etissant m^eme, pour leur jeunesse priv'ee ainsi de toute r'ecr'eation.
`A l’ordre du p`ere Martin, cependant, tous les petits pupilles s’'etaient pr'ecipit'es vers un tas de cosses pleines qui se trouvaient `a quelque distance, jet'ees sur le sol, devant une bassine o`u l’on mettait les petits pois pr'epar'es.
Ils s’agenouillaient dans la boue et travaillaient avec ardeur. Le p`ere Martin approuva d’un signe de t^ete, redressa d’un coup de pied un gosse qui paraissait ne pas aller assez vite, puis il appelait encore :
— Num'ero quatre !
Celui-ci revenait pr'ecis'ement, tra^inant son seau vide, ayant soign'e les lapins.
En s’entendant nommer, instinctivement, il levait son bras `a la hauteur de son visage, se gardant bien d’approcher davantage.
— O`u est la m`ere ? demanda le p`ere Martin.
Le gosse, qui tremblait, eut un air d’ignorance.
— Je ne sais pas, patron… derri`ere la maison, je crois…
— C’est bon, au turbin !
Le num'ero quatre rejoignit ses compagnons et entama le tas de petits pois.
Le p`ere Martin, cependant, appelait `a pleins poumons :
— Eh l`a… toi, ma femme !… Ous’que t’es ?
Un grognement parvint, on entendit le bruit de galoches tra^in'ees sur le sol, au coin de la maison une grosse femme apparut.
C’'etait la m`ere Martin.
Elle pouvait avoir une quarantaine d’ann'ees et, certes, la gourmandise devait ^etre son p'ech'e mignon, car perp'etuellement elle avait la bouche pleine et m^achonnait quelque chose.
Blonde d'ecolor'ee, les yeux 'eteints, la bouche tordue, elle 'etait sale `a faire fr'emir et sentait le vin `a dix m`etres. Sa voix avait quelque chose d’'eraill'e, de cass'e, d’ignoble, les gosses la craignaient plus encore que son mari.
— Quoi que tu veux ? fit la femme.
Le p`ere Martin entrait dans la maison.
— Aboule !… J’ai `a te parler !
La m`ere Martin continua d’avancer, gifla au hasard l’un des petits travailleurs, puis p'en'etra `a son tour dans la pi`ece basse de la maison.
— Quoi que tu m’veux ! r'ep'etait-elle.
Le p`ere Martin 'etait debout devant une sorte de placard dont sa femme gardait la cl'e.
— Donne des sous ! demandait-il.