Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Pour quoi faire ?
— Ca te r’garde ?
— Probable, mon vieux !
Le p`ere Martin ne r'esista pas plus longtemps. Il savait aussi bien que sa femme ne lui donnerait pas cinquante centimes s’il n’en justifiait point l’emploi. Elle 'etait encore plus avare que lui, plus grippe-sou, s’il 'etait possible, ne se montrant g'en'ereuse que lorsqu’il s’agissait d’aller chez le marchand de vin ou encore d’acheter `a l’'epicier quelque douceur qu’elle goinfrait en cachette pour ne pas avoir `a amoindrir sa part en faveur de son mari.
— Eh bien, voil`a ! commenca le p`ere Martin. C’est rapport au num'ero quatre… J’en ai assez du fils Poucke !… J’suis d’avis qu’on l’s`eme…
La m`ere Martin hocha la t^ete, h'esita :
— Dame, fit-elle, c’est selon… C’est qu’il est `a quarante francs par mois, ici !…
— `A trente ! rectifia le p`ere Martin.
La m'eg`ere se mordit les l`evres, elle venait de faire une imprudence. La pension du num'ero quatre 'etait bien de quarante francs par mois, mais elle ne la comptait qu’`a trente francs `a son mari. Les dix francs de suppl'ement filaient r'eguli`erement chez le mastroquet voisin.
— Bon, bon, ca va bien ! fit-elle. Trente ou quarante, c’est la m^eme chose !… C’est toujours mieux que les autres !…
— Si ca payait, oui, fit le p`ere Martin.
Et, brusquement, sa col`ere crevait dans un flot de paroles, dans une s'erie d’impr'ecations.
— Aussi, c’est vrai, disait-il, je ne sais pas qu’est-ce que t’as dans l’ciboulot pour ce morveux-l`a, mais j’peux pas t’d'ecider ! C’est trente balles que tu dis !… Avec ca, que c’est trente balles !… Quand c’est-y qu’on touche ?… `A la saint Tralala !…
Et, d'ecochant `a la table un coup de poing qui la faisait trembler, le p`ere Martin jurait :
— Moi, nom de Dieu ! j’en ai marre, de ce morveux-l`a ! Des gosses comme ca, y ne m’en faut plus !… Et si tu veux mon opinion, la m`ere, eh bien, le fils Poucke, on le rendra `a ses auteurs…
— On perdra trente francs, fit sentencieusement la m`ere Martin.
Mais le p`ere nourricier n’admettait pas la r'eplique.
— Ta bouche ! faisait-il. Et d’abord, comptons voir : combien que t’as touch'e, ce mois-ci ? Z'ero… Et le mois d’avant ? Z'ero encore… Et l’aut’mois ? Vingt-cinq francs tout juste… Tiens, veux-tu que j’te dise ? Eh bien, on est des gourdes, de l’avoir gard'e si longtemps, le m^omignard !… Faut l’renvoyer, et illico ! S’il 'etait parti, on en aurait eu un autre de l’Assistance et `a quinze francs par mois, ca ferait tout juste six thunes qu’on aurait de plus dans l’portefeuille.
La m`ere Martin n’osait pas r'epondre.
En r'ealit'e, son mari e^ut eu un raisonnement fort juste si celui-ci n’'etait point parti d’une donn'ee absolument fausse. En r'ealit'e, on avait toujours pay'e, en effet, et fort r'eguli`erement, les mois de nourrice. Seulement, la m`ere Martin avait eu l’id'ee, mise en go^ut par un premier mensonge, d’escamoter ces mois `a son homme.
Or, voil`a que ca tournait mal. Furieux de n’avoir pas 'et'e pay'e, le p`ere Martin voulait rendre le gosse !… Ca, c’'etait vraiment un d'etestable projet ! La m`ere Martin se sentait toute chose en y pensant. Trente francs qu’elle aurait `a d'epenser en moins ! Vingt sous par jour qu’elle ne licherait plus… Ah ! non, elle ne pouvait pas admettre ca !
La m'eg`ere, d’autre part, n’avait nulle envie d’avouer `a son mari qu’elle avait escamot'e les mois de nourrice. Le p`ere Martin, en effet, n’aimait point les discussions et ne perdait jamais son temps en querelles ou en criailleries. Elle savait d’avance quelle conduite il tiendrait : dans un coin il y avait une trique qu’il prendrait, et s^urement elle attraperait une roul'ee formidable qui lui apprendrait, pour l’avenir, `a ne point dissimuler les recettes du m'enage.
Pourtant, la m`ere Martin ne pouvait pas se r'esigner. Elle voulut tergiverser encore :
— On pourrait peut-^etre 'ecrire `a la m`ere ? proposait-elle.
Mais son homme ne voulait point accepter ce projet.
— Oui, faisait-il. Pour perdre les deux sous de timbre et toucher des n`efles !… C’est encore une id'ee, cela !
Et il devenait encore plus brusque.
— Allez, j’avance des sous ! J’te dis que j’ai mon projet… J’prends l’gosse par la peau du cou, je le rapplique `a sa maman, je lui dis : Voil`a l’gamin, faut m’payer ou je le laisse !
Et le p`ere Martin riait, se frottait les mains.
— Alors, disait-il, de deux choses l’une : ou la m`ere raque et je ram`ene le morveux, ou bien elle ne raque pas et je lui laisse… Demain, on en aura un autre de l’Assistance. Non, mais des fois !… J’suis pas charg'e de l’'elever, le fils Poucke !
Et il riait, il riait m^eme de bon coeur, 'etant `a cent lieues de se douter des angoisses de sa femme.
Celle-ci, toutefois, se d'ecidait :
— Bon, fit-elle, j’vas te donner de quoi radiner jusqu’`a Paris. D'ebrouille-toi, apr`es tout ! P’t^et’bien que la m`ere raquera, p’t^et’bien m^eme que c’est les mandats qui n’arrivaient pas, car enfin, jusqu’`a y a trois mois, elle payait r'eguli`erement.
La m`ere Martin lancait cela d’un ton doucereux, sans insister, avec l’espoir que son homme s’y tromperait, et que cela fournirait, pour plus tard, une base d’explication.
P'eniblement, elle ouvrait le fameux placard, prenait une thune qu’elle remettait `a son mari.
— Tu pars maintenant ? demandait-elle.
— Et comment !… J’m’en vais pas moisir !… Fais l’ballot et je l’porte.
Le ballot n’'etait pas difficile `a faire. En quelques instants, la m`ere Martin eut pli'e dans un grand tablier les quelques affaires qui appartenaient au gosse, elle remit le tout `a son mari.
— Voil`a, d'eclarait-elle. Mais t^ache tout d’m^eme de le ramener. Apr`es tout, quand elle payait, la m`ere, c’'etait pas une si mauvaise affaire que ca !…
Le p`ere Martin ne r'epliquait pas. D'ej`a il 'etait dans la cour, d'ej`a il appelait :
— Num'ero quatre, arrive ici !
Une demi-heure plus tard, le num'ero quatre avait quelque peu chang'e d’aspect. Chose qui n’arrivait que bien rarement, on l’avait `a peu pr`es peign'e, lav'e, on avait m^eme pouss'e le soin jusqu’`a s’assurer qu’il avait des bas et que ses souliers comportaient des lacets.
— Radine, maintenant, m^omignard ! commandait le p`ere Martin, qu’on te rapplique `a ta daronne…
Ils prirent le tramway, descendirent `a la barri`ere de Paris, et le p`ere Martin commenca par aller boire un verre.
Il y a loin, cependant, de la barri`ere du tramway `a Montmartre o`u habitait pr'ecis'ement Paulette de Valmondois, c’est-`a-dire la fille Poucke, m`ere du petit Gustave.
Le p`ere Martin pensa n’arriver jamais. Le gosse trottinait `a ses c^ot'es, mais se mourait de fatigue et il n’avancait pas. Il pleurait tout le temps.