Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Alice Ricard 'etait entr'ee rue Richer `a neuf heures et demie environ. Un quart d’heure plus tard, dans un modeste appartement de cette m^eme maison, une sc`ene horrible se d'eroulait.
Dans une pi`ece sombre, aux allures de chambre `a coucher, tr`es vaguement 'eclair'ee par la lueur vacillante d’une modeste lampe pigeon pos'ee sur le coin d’un meuble, deux personnages aux allures sombres s’agitaient, en prenant bien garde `a ne pas faire de bruit.
Ils parlaient `a voix basse :
— Est-ce fini ?
— Presque.
— Tu es bien s^ure, n’est-ce pas, de ne rien oublier ?
— Oh certainement.
— Tu sais que la moindre trace, le moindre indice nous perdraient.
— N’aie donc pas peur.
— On ne voit pas clair ici, bougre de nom d’un chien. Les volets sont clos, hein ?
— Oui, bien entendu.
— Alors, il n’y a rien `a craindre des voisins. Je hausse la lampe sans scrupule.
L’homme qui venait de parler se rapprochait en effet de la table sur laquelle 'etait pos'ee la lampe pigeon, il leva la m`eche, une clart'e plus vive se r'epandit dans la pi`ece.
L’homme avait alors un ricanement.
— Sapristi, dit-il avec tranquillit'e en regardant autour de lui, c’est vraiment joli ici. Il n’y aura pas `a s’y tromper.
Il avait 'eclat'e de rire.
— Tais-toi donc, dit la femme, tu fais trop de bruit et ton rire me glace d’effroi. Si jamais on venait…
— Oui, nous serions frais.
Ils se turent, tous deux occup'es encore, semblait-il, `a des besognes myst'erieuses.
L’homme soudain se retourna :
— J’ai du sang aux mains, d'eclara-t-il, il faudrait que je m’essuie les doigts.
— Prends les rideaux, conseilla la femme, mais m'efie-toi. N'e laisse pas d’empreinte.
`A son tour d’ailleurs, la femme s’approchait de la lampe et en haussait encore une fois la m`eche.
— Il faut absolument que nous voyions clair, dit-elle.
Et quand la lumi`ere fut devenue plus vive, elle r'ep'eta ce que son compagnon avait dit :
— Oui, vraiment, tu as raison, c’est tout `a fait gentil ici.
Elle 'eclata de rire `a son tour.
Le spectacle qui faisait rire les deux individus 'etait abominable cependant : un lit qui occupait le fond, 'etait `a moiti'e d'efait, les draps sur le sol, le matelas pendait, lamentable, parmi les couvertures rejet'ees en tas.
Plus loin, la tenture d’une porti`ere d'echir'ee tra^inait. Une chaise renvers'ee avait son 'etoffe `a moiti'e trou'ee et le crin s’en 'echappait par flocons. Sur le tapis enfin, un tapis clair, d’une teinte grise et sur lequel 'etaient jet'ees des carpettes de poil de ch`evre, de larges taches se voyaient, de v'eritables mares d’un liquide rouge d'ej`a coagul'e, `a l’odeur ^acre, fade, grisante presque : du sang.
— Qu’est-ce que tu en penses, on brise la glace ?
— Si tu veux, dit la femme, ca n’a pas d’importance, elle appartient au propri'etaire. Mais n’esquinte pas la pendule, ne la bouge pas hein, elle tomberait et ca ferait du bruit.
— C’est idiot ce que tu as fait l`a. Elle a de la valeur cette pendule. Nous aurions pu la revendre.
— Bah, nous n’en sommes plus `a cinquante francs pr`es. Il y a vraiment beaucoup de sang, ajouta-t-elle d’un air s'erieux, cela ne te fait pas peur ?
— Affaire d’habitude, disait-il. Si cela t’impressionne, ne regarde pas.
— Viens m’aider plut^ot. Il faut que je casse au moins l’un des petits tiroirs.
— Pourquoi ?
— Pour le vol, parbleu.
— Tu as raison. Et la malle jaune ?
— Je m’en suis occup'e.
— Alors ca va bien.
Ils s’'etaient agenouill'es aupr`es d’un bureau `a l’angle de la pi`ece :
— Je n’ai pas beaucoup l’habitude de ces op'erations-l`a, constata en souriant l’homme qui paraissait de plus en plus calme, mais cela ne fait rien, j’imagine que je r'eussirai facilement.
Il 'etait arm'e d’un ciseau `a froid, d’un marteau, il manoeuvrait ses outils de telle mani`ere qu’en quelques minutes la serrure du tiroir c'eda.
— Et voil`a, concluait-il d’un ton enjou'e, tu vois que ce n’est pas difficile.
En parlant, il fouilla dans le tiroir, v'erifia les papiers, en jeta une partie sur le sol.
— Crois-tu que cela vaille la peine de d'efoncer tous les tiroirs qui restent ?
Il tenait la lampe, il examinait en connaisseur le meuble fractur'e.
— Baraban qui soignait tant son mobilier ! dit-il soudain en riant encore. Et dire qu’il attrapait sa concierge lorsqu’elle faisait mal son m'enage.
— Laisse donc le bureau. Il n’y a plus rien `a faire dans la chambre, viens voir par ici.
L’homme reposa la lampe, suivit un couloir, se pencha encore sur le sol :
— Alice, appela-t-il, viens donc voir, il me semble qu’il y a beaucoup de sang par ici.
— Non viens, d'ep^eche-toi, j’ai besoin de toi ici, Fernand.
Alice ? Fernand ?
'Etait-ce donc les 'epoux Ricard qui se trouvaient r'eunis rue Richer, dans cet appartement en d'esordre `a l’aspect sinistre, tout tach'e de sang, dans cet appartement qui, l’homme venait de le dire, appartenait `a un certain M. Baraban ?
C’'etait bien eux en effet.
C’'etait bien Alice Ricard, la jolie Alice qu’aimait le jeune Th'eodore Gauvin, qui se trouvait maintenant dans la cuisine, occup'ee `a se laver les mains dans une terrine pos'ee sur l’'evier.
— Regarde-moi bien, disait-elle. Allume le gaz si tu veux, les volets sont ferm'es. Je n’ai pas de sang, hein ?
Fernand – Fernand Ricard, car c’'etait bien le courtier qui se trouvait l`a avec sa femme – l’examinait soigneusement.
— Non, dit-il enfin apr`es l’avoir fait tourner et retourner devant lui, je ne vois aucune trace suspecte, tu es nette comme un sou neuf.
Puis il arr^eta sa femme d’un geste.
— Eh pas de b^etise, ne vide pas l’eau de la cuvette, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Je crois que le tuyau aboutit `a la cour et coule dans une rigole jusqu’`a la canalisation qui l’emm`ene `a l’'egout. De l’eau rouge comme cela, ce serait suffisant pour attirer l’attention.