Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Oh, tout le monde dort.
— Je l’esp`ere bien.
Fernand Ricard, `a son tour, se lavait les mains dans l’eau d'ej`a rougie, se curait les ongles soigneusement.
— Je n’ai rien non plus ?
— Non.
Ses mains essuy'ees, le courtier retournait dans la chambre `a coucher.
— C’est tout `a fait bien, constata-t-il d’un air satisfait. Nous ne laissons aucune trace derri`ere nous. Absolument aucune.
— Tu sais l’heure ? demandait-elle.
— Non.
— Dix heures vingt-cinq, mon chou.
— Bigre, il s’agit de ne pas fl^aner alors. Ah sapristi, j’ai dix heures dix, moi. Crois-tu, nos deux montres ne marchent pas ensemble, c’est comme cela que les malheurs arrivent.
Il manoeuvrait soigneusement les aiguilles, prenant l’heure de sa femme :
— Dix heures et demie maintenant, hein ? Bon, voil`a qui est fait, eh bien je crois ma ch'erie que tu n’as plus qu’`a t’en aller.
Les deux 'epoux parlaient toujours `a voix basse. Ils n’avaient pas l’air trop 'emus pourtant.
— En effet, r'epondit Alice, je m’en vais. Cela me fait un peu peur, tout de m^eme, de te laisser ici.
Fernand Ricard, lui, haussait les 'epaules :
— Moi cela ne m’effraye pas, et puis tout est si bien combin'e ! Tu as pr'evenu la concierge ?
— Oui, tu n’as pas entendu quand je suis remont'ee ? J’ai dit : M. Baraban et moi, madame, nous allons vous d'eranger tout `a l’heure vers les dix heures et demie.
— Tu es s^ure qu’elle t’a entendue ?
— Oh parfaitement. Elle m’a m^eme r'epondu qu’elle 'etait habitu'ee `a ^etre d'erang'ee et que, pour un locataire comme M. Baraban elle tirerait bien le cordon dix fois par nuit.
Les deux 'epoux, `a ces mots, 'eclat`erent encore de rire.
— Le pauvre homme, d'eclara Fernand Ricard.
Il se h^ata d’ajouter :
— Allons, d'ep^eche-toi, il est dix heures et demie bien sonn'ees maintenant.
Quelques secondes plus tard, Alice Ricard 'etait chapeaut'ee, pr^ete `a partir, et son mari la reconduisait jusqu’`a la porte de l’appartement.
— C’est bien entendu hein ? disait Fernand. `A onze heures moins cinq exactement, tu sonnes ?
— `A onze heures moins cinq, lui r'epondait la jeune femme commencant `a descendre l’escalier.
Trois marches plus bas, elle se retourna.
— Et toi, n’oublie pas la malle.
— Non, non, sois tranquille, tout ira bien.
Fernand Ricard, sur la pointe des pieds, descendit jusqu’`a sa femme, l’embrassa amoureusement.
— Va, r'ep'eta-t-il, et sois sans crainte. Si tout marche bien, dans moins d’un mois…
— Oui, r'epondait-elle, mais quelle peur d’ici l`a ! Ah, les journaux de demain ! Nous perdons du temps, c’est l’heure. Adieu !
Alice Ricard descendit rapidement les trois 'etages de la maison.
Dans le vestibule, elle heurtait `a la porte de la loge :
— Le cordon s’il vous pla^it. C’est nous, madame.
Imm'ediatement, la porte s’ouvrit. La jeune femme sortit rue Richer, ayant referm'e derri`ere elle le battant de la porte coch`ere. Alice Ricard tourna vers les Folies-Berg`ere. Elle longea la facade du music-hall, prit la rue de Tr'evise, marchant vite.
Alors qu’un instant avant, la jeune femme paraissait tr`es calme, fort tranquille, il semblait maintenant qu’un 'emoi d'esordonn'e s’'etait empar'e d’elle. Elle avait les dents qui claquaient. Moite de sueur, elle 'evitait les endroits 'eclair'es, traversait pour fuir l’aur'eole lumineuse des r'everb`eres. De temps `a autre, m^eme, elle s’arr^etait, regardait minutieusement sa robe, ses manches, ses mains, cherchant si nulle trace suspecte ne pouvait ^etre devin'ee sur elle.
Elle erra encore quelque temps aux environs du square Montholon, puis elle regarda sa montre anxieusement :
— Onze heures moins dix, allons il est temps que je revienne.
La jeune femme fit demi-tour, et, par la rue Berg`ere, gagna la rue Richer.
— Onze heures moins sept, murmurait-elle v'erifiant sa montre, comme elle se rapprochait de l’immeuble quitt'e un quart d’heure auparavant.
Alice Ricard, alors, ralentit le pas. Elle regarda de seconde en seconde le cadran ouvrag'e de sa petite montre de dame. Il 'etait exactement onze heures moins cinq lorsqu’elle s’arr^eta devant la porte.
Alice Ricard, alors, d’un coup d’oeil furtif, examina la rue. Elle 'etait d'eserte. Le sergent de ville qui avait interpell'e Th'eodore une vingtaine de minutes auparavant, avait regagn'e son poste au coin de la rue du Faubourg Montmartre.
La jeune femme, n’apercevant personne, parut reprendre un peu d’assurance. Elle sonna, un long coup de sonnette, puis fr'emissante, pr^etant l’oreille, elle attendit, elle 'ecouta.
De l’autre c^ot'e de la porte coch`ere, `a l’instant m^eme o`u le coup de sonnette retentissait, dans le silence de la maison endormie, une pendule tinta.
Lentement, `a coups 'egaux, d’un timbre argentin, elle 'egrena les douze coups de minuit.
— Dix, onze, douze, allons, tout va bien, dit Alice Ricard.
Elle sonna une seconde fois, la porte s’ouvrit, elle en repoussa le battant. Que se passa-t-il alors ?
Muet, un homme lui fit un signe. Il 'etait au fond du corridor. Il vint en marchant pesamment jusqu’`a la porte coch`ere.
— Monsieur Baraban, cria-t-il `a haute voix `a la facon d’un locataire qui rentre le soir chez lui.
Il ajouta :
— Dormez bien, madame, c’est l’heure.
Puis ayant franchi la porte coch`ere il la ferma et, rapidement prenant le bras d’Alice, il entra^ina la jeune femme.
— Tout s’est bien pass'e ? demanda Fernand Ricard, haletant. Tu n’as rencontr'e personne en sortant ?
— Non, personne, et toi ?
— Moi non plus, naturellement, je n’ai pas boug'e de l’appartement.
Fernand Ricard poussa un grand soupir de satisfaction puis demanda encore :