Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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5 – UNE ARRESTATION
— As-tu entendu ?
— On a frapp'e, je crois ?
— Je ne crois pas, moi. J’en suis s^ur !
Deux coups discrets venaient en effet de retentir `a la porte de la chambre `a coucher des 'epoux Ricard.
Alice et Fernand s’'etaient couch'es fort tard, la veille.
Ils dormaient profond'ement l’un et l’autre, lorsque ces coups avaient 'et'e frapp'es `a leur porte et, en ouvrant les yeux, les 'epoux constat`erent qu’il faisait grand jour.
Quelle heure pouvait-il bien ^etre ? Neuf heures du matin, dix heures peut-^etre ?
Ils se regard`erent interloqu'es, l'eg`erement inquiets. Fernand s’'etait dress'e, pr^et `a bondir de son lit. Quant `a Alice, elle se pelotonnait sous les couvertures, s’efforcant de rester 'eveill'ee, et luttant avec peine contre le sommeil qui s’appesantissait sur ses paupi`eres.
Enfin, Fernand Ricard se d'ecida `a r'epondre `a l’appel qui se poursuivait discret, peu bruyant, mais tenace et continu.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Que veut-on ? demanda-t-il.
La voix de la petite bonne que les 'epoux Ricard avaient `a leur service se fit entendre.
— C’est une visite, fit-elle. Quelqu’un qui attend au salon et demande `a voir monsieur et madame.
Ricard tressaillit, il secoua sa femme qui commencait `a se rendormir.
— R'eveille-toi donc, fit-il, il se passe quelque chose d’'etrange. Qui donc peut venir nous voir ainsi ?
Et Fernand Ricard p^alissait, cependant que sa femme ouvrait de grands yeux effar'es.
— Est-ce que l’on saurait d'ej`a ? dit Alice.
Mais Fernand s’'etait lev'e, il se rapprocha de la porte, et sans l’ouvrir, demanda `a la bonne :
— Qui est l`a ? Savez-vous le nom de cette personne qui attend ?
— Mais oui, monsieur, r'epondit la servante, c’est M e Gauvin, le notaire.
— Ah, fit Fernand, qui respira profond'ement. J’aime mieux ca.
Il cria `a la bonne :
— Est-ce que c’est bien urgent ? M e Gauvin a-t-il besoin de nous voir tout de suite ?
— Je vais lui demander, dit la bonne.
Et l’on entendit son pas lourd et rapide dans l’escalier. La domestique remontait quelques instants apr`es :
— Il para^it, cria-t-elle `a travers la porte, que c’est tr`es important et tr`es press'e. Si monsieur et madame ne sont pas pr^ets, M e Gauvin attendra.
— Quelle dr^ole d’histoire !
— Eh oui, je comprends bien, dit Alice, r'epondant `a l’interrogation muette de son mari, on aurait bien dormi deux heures de plus, mais on ne peut pas refuser de recevoir M e Gauvin.
Elle esquissa un sourire cynique et ajouta :
— C’est peut-^etre au sujet de l’h'eritage de notre oncle, qu’il vient nous voir.
Fernand haussa les 'epaules. Il retourna du c^ot'e de la porte, cria `a la bonne :
— Priez M e Gauvin d’attendre, nous allons descendre d`es que nous serons pr^ets.
Les deux 'epoux se livr`erent `a une toilette sommaire.
— Qu’est-ce qu’il peut bien nous vouloir ? se demandait Alice qui, pour dissimuler sur son visage les traces laiss'ees par la fatigue de la veille et la mauvaise nuit qu’elle avait pass'ee, se couvrait outrageusement de poudre.
Plus calme, en apparence tout au moins, Fernand d'eclarait :
— Qu’est-ce que tu veux, nous allons le savoir. Attention `a ne pas faire de gaffe, et `a ne pas te montrer 'emue, quoi qu’il arrive. Nous ne pouvons nous tirer d’affaire qu’`a la condition de maintenir formellement ce que nous avons d'ecid'e de raconter.
— Je n’ai pas peur, et tu n’as rien `a craindre de moi. J’ai beau ^etre une femme, j’ai du toupet.
Quelques instants apr`es, dans le salon du rez-de-chauss'ee o`u M e Gauvin se promenait de long en large, troubl'e, semblait-il, les deux 'epoux faisaient leur apparition.
— Quelle bonne surprise, mon cher ma^itre ! s’'ecria Alice en minaudant. Excusez-nous de vous avoir fait attendre, mais nous nous sommes couch'es tard hier soir et, provinciaux comme nous sommes, nous n’avons gu`ere l’habitude de nuits sans sommeil.
— Le fait est, poursuivait Fernand avec un air enjou'e, cependant qu’il arrivait derri`ere sa femme et fermait soigneusement la porte du salon, par pr'ecaution, pour que la bonne ne p^ut pas entendre, que nous devrions ^etre lev'es depuis longtemps.
M e Gauvin salua machinalement les deux 'epoux, serra la main de Fernand.
Alice lui d'esigna un si`ege, le notaire y prit place, puis, apr`es un l'eger silence, commenca :
— En somme, vous avez fait bon voyage ?
— Mais oui, excellent.
— Vous ^etes revenu plus t^ot que vous ne pensiez ?
— En effet. Dans ma profession de courtier, on ne sait jamais exactement ce que l’on doit faire. Vous vous souvenez, mon cher ma^itre, que j’'etais parti pour Le Havre, et que ma femme devait rester ici. `A peine 'etais-je en route que je recevais une d'ep^eche urgente me convoquant `a Paris. J’ai rebrouss'e chemin aussit^ot, en m^eme temps que je pr'evenais Alice de venir me rejoindre. Les dames, vous savez, aiment toujours venir `a Paris, histoire de tra^iner dans les magasins. Nous avons pass'e la soir'ee dans la capitale et nous avons pris le train de onze heures quarante-cinq hier soir pour revenir.
Le notaire hochait la t^ete d’un air distrait, cependant qu’Alice, qui 'ecoutait avec admiration son mari, trouvait qu’il 'etait tr`es fort et expliquait adroitement les raisons pour lesquelles l’un et l’autre avaient modifi'e le programme qu’ils avaient annonc'e.
Le notaire, cependant reprit, les yeux baiss'es, 'evitant de regarder ses interlocuteurs :
— Vous revenez de Paris ? Ah ! comme ca se trouve !
Et il interrogeait :
— Vous n’avez pas, par hasard, rencontr'e mon fils Th'eodore ?
— Ma foi non, fit Fernand. 'Etait-il donc `a Paris, lui aussi ?
— Oui, fit myst'erieusement le notaire.
Il y eut encore un silence, et M e Gauvin reprit :
— 'Ecoutez mes bons amis, et surtout ne vous f^achez pas, j’en serais d'esol'e. Vous avez en face de vous un p`ere tr`es ennuy'e, qui souffre. Ce que j’ai `a vous dire est d'elicat, mais je sais vos sentiments, votre droiture `a l’un et `a l’autre, et je vais vous parler en toute confiance.