Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Nous vous 'ecoutons, d'eclara Fernand qui jeta un coup d’oeil 'etonn'e sur sa femme.
Alice avait l'eg`erement p^ali, inqui'et'ee par ce pr'eambule. Le notaire poursuivit :
— C’est de Th'eodore qu’il s’agit. Mon fils est un gentil garcon, intelligent, travailleur, je crois m^eme qu’il a de l’esprit. Il est jeune, tr`es jeune aussi. Vous connaissez son ^age : dix-sept ans. Pour les jeunes gens, c’est l’^age critique. Ils ont des aspirations sentimentales, ils s’emballent facilement, et sont accessibles aux amours. Bref, je dois vous le dire, Th'eodore est amoureux.
— Ah, ah ! fit Fernand qui ne comprenait toujours pas o`u voulait en venir le notaire.
Il fut vite renseign'e, celui-ci d'eclarait, consid'erant Alice :
— Il vous aime, madame. Mon fils est 'epris de vos charmes, et cela follement. Oh, je sais que si je vous fais une telle confidence, c’est parce que j’ai la certitude que vous ne vous en ^etes m^eme pas apercue. Et que vous ^etes une honn^ete femme.
— Monsieur, interrompit Alice qui rougissait, vous avez raison en effet, jamais je ne me serais dout'ee de rien.
— Je le sais, madame, et je vous fais toutes mes excuses de vous parler de la sorte, mais ma visite n’avait d’autre but que de vous demander ceci : si par hasard, Th'eodore avait l’insolence de vous dire la moindre chose relative aux sentiments qu’il 'eprouve `a votre 'egard, je vous supplie de le rabrouer purement et simplement.
— Mais mon cher ma^itre, d'eclara Fernand, ce que vous demandez l`a `a ma femme est superflu. Je connais Alice, et je sais qu’elle ne souffrirait pas la moindre incorrection.
Le notaire s’'etait lev'e. Il donnait aux 'epoux Ricard l’impression d’un homme fort g^en'e, tr`es troubl'e, qui 'etait venu dans l’intention de leur d'eclarer quelque chose et qui s’en allait sans avoir exprim'e le fond de sa pens'ee.
Le notaire, en effet, sans plus, prenait cong'e.
— Merci, fit-il en serrant les mains d’Alice et de Fernand. Je vous remercie de ne vous ^etre point f^ach'es, ni vex'es de ma requ^ete. Excusez-moi de vous avoir d'erang'es. Surtout, je vous en prie, faites que Th'eodore ignore toujours la petite entente intervenue entre nous.
— Vous pouvez y compter, mon cher ma^itre.
Fernand rentra au salon, il consid'era sa femme les bras crois'es :
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda-t-il.
Alice 'etait perplexe :
— Ah, je t’avoue, fit-elle, que je n’y comprends absolument rien. Il est un peu ridicule, ce brave p`ere, de venir ainsi `a domicile, prot'eger la vertu de son fils. Sa vertu n’a d’ailleurs rien `a craindre, en ce qui me concerne, tout au moins.
Pour toute r'eponse, Fernand Ricard d'eposa un baiser sur le front de sa femme.
Cependant, M e Gauvin regagnait l’int'erieur de la ville. Il 'etait pr'eoccup'e, marchait, l’air soucieux, le front courb'e. Il passa devant son 'etude sans y p'en'etrer et se rendit tout droit au Palais de Justice. Il s’adressa au gardien :
— M. de Larquenais est-il `a son cabinet ?
Le gardien salua le notaire qu’il connaissait fort bien.
— Je ne crois pas, ma^itre Gauvin. M. le procureur de la R'epublique n’arrive gu`ere que vers onze heures `a son bureau. Il est vrai, poursuivit l’homme en consid'erant l’horloge de la petite salle des pas perdus, qu’il est onze heures moins dix, M. de Larquenais ne tardera gu`ere.
Le notaire remercia, le gardien insista :
— Si ma^itre Gauvin veut que j’aille le chercher ?
— Non, non, fit le notaire, je l’attendrai.
Et il monta lentement l’escalier conduisant au cabinet du procureur de la R'epublique, s’installa sur une banquette, dans le couloir, et attendit, la t^ete dans les mains.
Dix minutes apr`es, avec une pr'ecision toute militaire, M. de Larquenais arriva au Palais, et introduisit aussit^ot le notaire dans son bureau :
— Quel bon vent vous am`ene ? demanda-t-il `a l’excellent officier minist'eriel.
M. de Larquenais 'etait un jeune procureur d’une trentaine d’ann'ees, parisien 'el'egant, distingu'e, fort recommand'e, appel'e, jurait-on, au plus grand avenir.
Il interrogea en souriant le vieux notaire :
— Je parie, lui dit-il, que c’est au sujet de cette chasse que vous d'esirez louer que vous venez me voir. J’ai r'efl'echi, et ma r'eponse est toute faite. Je prendrai volontiers deux actions, d’autant que nous nous retrouverons l`a entre amis, puisque ces messieurs du Tribunal, Jacquin, l’avou'e et vous-m^eme, ma^itre Gauvin, ^etes de la combinaison.
Le notaire interrompit le procureur :
— Ce n’est pas l’ami, d'eclara-t-il solennellement, que je viens voir aujourd’hui, mais le magistrat.
— Ah bah, fit M. de Larquenais fort interloqu'e par ce pr'eambule. De quoi s’agit-il donc ?
Il avait d'esign'e un fauteuil `a c^ot'e de lui au notaire. Celui-ci y prit place et commenca :
— Voici, monsieur le procureur. Il se passe quelque chose de tr`es grave.
Et, comme M. de Larquenais esquissait avec politesse un geste d’'etonnement, le notaire insista :
— De tr`es grave, oui… Figurez-vous que mon fils est `a Paris.
— Alors ? interrogea le procureur.
— Alors, ajouta d’une voix tremblante le notaire, c’est une preuve pour moi qu’il m’a menti. Car il 'etait parti en m’annoncant qu’il allait passer la journ'ee d’hier chez son ami Victor au ch^ateau des Ifs.
Le procureur haussa les 'epaules.
— Les jeunes gens, vous savez, sont toujours attir'es comme les alouettes par le miroir de la grande ville. Et dame, `a son ^age, une petite fugue, cela s’explique. Rappelez-vous votre jeunesse, ma^itre Gauvin.
Celui-ci tressaillit :
— Je n’ai jamais fait de b^etise, monsieur, et j’ai toujours 'et'e un honn^ete homme.
Le notaire 'etait devenu livide, une sueur froide lui perlait au front. Il l’'epongea et poursuivit :
— Ce ne serait encore rien, mais mon fils a fait quelque chose de plus grave : avant de s’en aller `a Paris, il a vol'e.
— A"ie, s’'ecria le procureur, dont le visage changeait instantan'ement. Cela, en effet, c’est plus grave ; qui donc a-t-il vol'e ?