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ЖАНРЫ

Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Tu n’avais pas oubli'e, n’est-ce pas, de crier ton nom `a la concierge en sortant ?

— Non, bien entendu. Mais toi-m^eme, Fernand, pourquoi as-tu cri'e Baraban `a l’instant ?

— Pour donner le change. La concierge, en t’entendant sortir tout `a l’heure, a cru que Baraban t’accompagnait, en m’entendant sortir moi, en ce moment, et en m’entendant crier « Baraban » elle va certainement penser que c’est son locataire qui rentre.

Fernand Ricard soupira encore. Il marchait tr`es vite, paraissant avoir tr`es chaud.

— Et la malle jaune ? demanda Alice.

— C’est fait, riposta le courtier. Je l’ai.

Alice n’eut pas l’air de s’'etonner et pourtant son mari ne tenait qu’une petite valise, pr'ecis'ement la valise qu’il avait emport'ee la veille en partant de Vernon pour aller soi-disant au Havre alors qu’il 'etait venu `a Paris.

`A ce moment, les deux 'epoux atteignaient la rue Lafayette. Fernand Ricard appela un fiacre.

— `A la gare Saint-Lazare, vite, commanda-t-il. Nous prenons le train de onze heures quarante-cinq.

Quelques instants plus tard, en d'ebarquant dans la cour de la gare, le courtier se prit de dispute avec son cocher.

— Pourquoi diable m’avez-vous mis le tarif horaire ? demanda-t-il. J’ai droit au tarif kilom'etrique ! Donnez-moi votre num'ero !

Le cocher sursauta :

— Mais je vous ai mis le tarif kilom'etrique, r'epliqua-t-il, regardez plut^ot.

Fernand Ricard se pencha en avant.

— Tiens, c’est vrai, faisait-il en s’excusant, pardon.

Et il laissa un bon pourboire au cocher.

Les deux 'epoux mont`erent alors le grand escalier qui conduit au hall des pas perdus.

Mais d'ecid'ement, le courtier devait ^etre 'enerv'e, car, en demandant son billet, il eut une nouvelle altercation avec la pr'epos'ee :

— C’est absolument stupide, lui disait-il, que vous me refusiez cette pi`ece de cinq francs sous pr'etexte qu’elle a une paille [3]. D’abord ce n’est pas vrai. Ensuite c’est la Compagnie qui me l’a donn'ee aujourd’hui m^eme.

— Comment voulez-vous que je le sache ? ripostait la pr'epos'ee. Et m^eme si je le savais, que voulez-vous que j’y fasse ? C’est `a vous de v'erifier votre monnaie, si l’une de mes coll`egues s’est tromp'ee.

Mais Fernand Ricard n’admettait aucune observation :

— Cela suffit, disait-il, donnez-moi le registre des r'eclamations.

— Pourtant, monsieur…

— Assez, mademoiselle, le registre des r'eclamations, ou bien, par-dessus le march'e, vous allez me faire manquer mon train de onze heures quarante-cinq !

En possession du registre, qu’il obtint non sans peine, en occasionnant un scandale abominable, Fernand Ricard 'ecrivit une longue plainte.

— Aurai-je encore le train de onze heures quarante-cinq ? grommela-t-il en s’'eloignant du bureau o`u on l’avait conduit.

Il 'etait onze heures quarante-quatre. Un chef de gare le rassura :

— D'ep^echez-vous, monsieur, mais vous avez le temps, votre montre avance un peu.

En courant, en effet, Alice Ricard et son mari purent rejoindre le train au moment m^eme o`u les employ'es commencaient `a fermer les porti`eres.

Ils se jet`erent tous les deux dans un compartiment vide.

— Ouf ! fit Fernand Ricard en s’asseyant.

— Ah ca, dit la jeune femme, tu perds la t^ete ? Pourquoi diable as-tu attrap'e ce cocher ? Pourquoi as-tu voulu d'eposer cette r'eclamation ? Tu nous as fait remarquer.

Le courtier en vins qui souriait consid'era sa femme d’un air ironique :

— Enfant, disait-il, tu ne comprends donc pas ? Mais bien entendu que je me suis fait remarquer. Expr`es. Parbleu ! Alice, j’ai fait remarquer que nous prenions le train de onze heures quarante-cinq, alors pourtant que Baraban est rentr'e chez lui `a minuit.

***

`A trois heures du matin, cette m^eme nuit, tandis que Fernand Ricard et sa femme rentr'es `a Vernon, r'einstall'es dans leur maisonnette, d'ebouchaient une bouteille de champagne et la vidaient consciencieusement avant de se mettre au lit, `a Paris, sur les bords de la Seine, sous les arches du Pont-Neuf, un jeune homme aux traits d'efaits, contemplait l’air sombre les flots noirs qui se heurtaient en tourbillonnant.

Le malheureux se tenait tout au bord du quai. Par moments, il se penchait sur les eaux glauques, attirantes, et il semblait alors qu’un vertige le prenait, qu’il allait s’y pr'ecipiter.

Sa d'ecision devait ^etre d’ailleurs bien arr^et'ee. Il allait sans aucun doute faire le geste fatal lorsqu’`a c^ot'e de lui, dans l’ombre trouble du pont, un sanglot retentit.

Brusquement, alors, le jeune homme se retourna :

— Qui va l`a ? Qui est l`a ? demanda-t-il.

On ne lui r'epondit pas. L’endroit 'etait d'esert, inqui'etant. Une humidit'e glaciale r'egnait, le vent siffla en rafales.

— Qui est l`a ? r'ep'eta le jeune homme.

Il s’'etait retourn'e.

Au bord du quai, il entrevit, appuy'ee contre la pierre du pont, une femme qui sanglotait 'eperdument.

Elle aussi paraissait d'esesp'er'ee, elle aussi fixait les flots noirs et semblait pr^ete `a leur demander l’oubli, le repos, la mort.

Le jeune homme s’approcha de l’inconnue.

Il lui mit la main sur l’'epaule sans qu’elle daign^at seulement tourner la t^ete.

— Voyons, disait-il, que faites-vous l`a, madame ? Qu’allez-vous faire plut^ot ? Et pourquoi pleurez-vous si fort ?

La femme le regardait, 'etonn'ee de la sympathie qu’on lui manifestait.

— Je viens de rompre avec mon amant, r'epondait-elle, nous nous sommes disput'es, je veux mourir.

Le jeune homme prit le bras de cette inconnue et, doucement, l’entra^ina :

— Il ne faut pas dire des choses comme cela, conseillait-il d’une voix tr`es douce. Il ne faut pas penser `a de semblables l^achet'es. D’abord ^etes-vous s^ure qu’il ne vous aime plus, votre amant ?

Et, dans l’ombre longtemps, longtemps, le jeune homme, qui pleurait lui-m^eme par moments, s’efforca de consoler la d'esesp'er'ee que le hasard venait de lui faire rencontrer.

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