Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Je ne sais pas, ma foi. J’ai envie de faire un tour. D’ailleurs j’attends un ami. Vous connaissez peut-^etre M. Baraban ?
— Je le connais sans doute de vue, mais le nom m’est inconnu.
— Au fait, j’ai la photographie de ce Baraban. Tenez, regardez-la, vous connaissez ce monsieur ?
Le ma^itre d’h^otel prit la photographie que lui tendait Fandor, l’examina soigneusement :
— Si vous connaissez ce monsieur, poursuivit le journaliste, je vous chargerai d’une commission pour lui.
Or, visiblement, le ma^itre d’h^otel ne reconnaissait pas le portrait de Baraban.
— Je ne suis pas tr`es s^ur, commenca-t-il, mais il me semble que si monsieur veut aller faire un tour, monsieur peut me laisser cette photo, quand l’ami de monsieur arrivera…
— Inutile, coupa Fandor. On m’attendra je pense, et je vais tout juste aller prendre un ap'eritif au bar.
Sorti du Monast`ere, flegmatiquement J'er^ome Fandor conclut :
— Et d’un, l’oncle Baraban est inconnu ici ! Ca, c’est une tape pour Juve.
Fandor, `a ce moment, replia son portefeuille et y introduisit la photographie. Soudain, il remarqua, 'ecrite au dos, une inscription de la main de Juve :
— Tiens, je n’avais pas vu cela ! murmurait-il.
`A la lumi`ere d’un bec de gaz, J'er^ome Fandor put d'echiffrer la note prise par le policier :
Imm'ediatement le journaliste 'eclata de rire :
— Bon Dieu que je suis b^ete, se d'eclarait Fandor, je vais me balader au Monast`erequand Juve a eu la pr'ecaution de noter au dos de cette photographie l’adresse du restaurant int'eressant. Ah, j’ai 'et'e rudement inspir'e en volant cette photo dans son portefeuille ce matin.
J'er^ome Fandor, en effet, avait tranquillement subtilis'e dans le portefeuille de Juve, la photographie de Baraban.
Un quart d’heure plus tard cependant, le journaliste entrait au Crocodile. Il 'etait tout pr`es de huit heures et demie, et, dans les salons de l’'etablissement, la foule des d^ineurs se pressait.
— C’est mieux ici, pensa Fandor, et puis, je connais la bo^ite. C’est m^eme ennuyeux on pourrait m’y reconna^itre.
J'er^ome Fandor d'eposa son pardessus au vestiaire et du pas d’un d^ineur tranquille, gagna une petite table. L`a encore, un ma^itre d’h^otel s’avanca vers lui :
— Deux couverts pour monsieur ?
— Heu, je ne sais pas trop, je pensais retrouver un de mes amis, mais il n’est pas l`a. Vous connaissez M. Baraban ?
— De vue peut-^etre, monsieur, mais de nom…
— Tenez, mon ami, cela 'eclaircira vos souvenirs.
Il tendit la photographie, interrogeant :
— Vous rappelez-vous cette t^ete-l`a ?
— Non, monsieur. Mais il vient tant de monde ici.
— En effet.
J'er^ome Fandor au m^eme moment, d'ecidait de ne point insister :
— Apr`es tout, pensait-il, Baraban ne venait peut-^etre ici qu’aux heures avanc'ees de la nuit. Montmartre n’est gu`ere fr'equent'e `a l’heure du d^iner, je poursuivrai mon enqu^ete aupr`es des bars m^emes qui prennent service aux environs de minuit.
Il commanda son menu, qu’il choisit d’une facon tr`es recherch'ee.
Or, il y avait `a peine quelques instants que Fandor d^inait de bon app'etit, lorsque le propre g'erant du Crocodiles’approchait de sa table et discr`etement, se penchait sur lui :
— Monsieur, demandait-il, veut-il m’autoriser `a lui poser une question ?
— Assur'ement, r'epondit Fandor, laquelle ?
— Monsieur n’a-t-il pas demand'e, continuait le g'erant, apr`es M. Baraban ?
Impassible, mais tr`es joyeux `a part lui, Fandor r'epondit :
— Oui, il vient ici quelquefois, n’est-ce pas ?
Il s’attendait presque `a une r'eponse affirmative, il fut stup'efait de celle qu’il recut :
— Monsieur serait fort aimable de descendre me parler au bureau, avait d'eclar'e simplement le g'erant.
Il n’avait pas besoin d’en dire plus. Fandor, `a cet instant, 'etait pris d’une formidable envie de rire :
— Bon, voil`a que le g'erant, qui a lu les journaux, conna^it l’assassinat de Baraban et se demande comment je peux avoir rendez-vous avec lui ici. Je parie cent francs contre deux sous, que si je me laisse faire, on va dans trois minutes me prendre pour l’assassin. Heureusement, que j’ai pr'evu la chose et que j’ai 'et'e voir Juve tout `a l’heure.
Le g'erant, pourtant, attendait, respectueux mais d'ecid'e. J'er^ome Fandor n’h'esita pas :
— Hep, appela-t-il, regardez cela.
En m^eme temps le jeune homme fouillait dans sa poche, prenait son portefeuille, l’ouvrait, tendait un carton `a son interlocuteur ahuri :
— Vous comprenez ? demanda-t-il, inspecteur de police. Voici ma carte de la S^uret'e.
Le g'erant 'etait rouge de confusion.
— Oh pardonnez-moi, monsieur. Je ne pouvais pas savoir, n’est-ce pas ? Et…
— Cela va bien, coupa Fandor, il n’y a pas de mal. Mais sachez cela pour votre gouverne : je me nomme Juve, je suis l’inspecteur Juve, d’ailleurs, pour enlever tous vos doutes, je vous en prie, examinez cette carte.
Fandor, `a cet instant, faut-il le dire, faisait preuve d’une effroyable audace.
Non seulement, en effet, il tendait la carte de Juve, carte qu’il avait subtilis'ee le matin m^eme chez le policier, mais encore, il offrait au g'erant de l’examiner.
Si le g'erant du Crocodileavait pris la carte en main, les choses eussent vraiment mal tourn'e pour le brave Fandor puisque ce n’'etait pas sa photographie qui ornait le carton.
Par bonheur, l’assurance du journaliste en imposa au personnage.
— Non, non, je n’ai pas besoin de v'erifier vos titres, protesta-t-il. D’ailleurs, je connais bien les cartes de police.
Et, pour prouver son z`ele, d’un geste imp'erieux, le g'erant ajoutait :
— Monsieur Juve, n’est-ce pas, je ferai mettre l’addition au compte de la pr'efecture ?
Fandor gravement opina de la t^ete :
— En effet, disait-il. Vous me donnerez la note, je la ferai viser par M. Havard et l’on vous paiera l`a-bas.
Fandor montrait de plus en plus d’audace et de plus en plus, en imposait au g'erant.