Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Juve d’ailleurs, ce nom c'el`ebre, renomm'e entre tous, qu’il osait usurper, ne pouvait pas faire autrement que de lui faciliter les choses.
Ces menus d'etails r'egl'es, le g'erant s’informa :
— Vous recherchez M. Baraban ? Vous voudriez avoir des d'etails sur lui ?
— Assur'ement. Vous le connaissez bien, hein ?
— Parfaitement, affirma le g'erant, le garcon qui m’a pr'evenu l’a d’ailleurs parfaitement connu aussi. Le pauvre homme 'etait un de nos habitu'es.
— Un bon habitu'e ? demanda Fandor, clignant de l’oeil.
— Un tr`es bon habitu'e, r'epondit le g'erant, souriant aussi.
Fandor, pour dissimuler l’'emotion qu’il 'eprouvait `a se sentir ainsi sur la bonne piste, se versa un verre de vin g'en'ereux et l’avala d’un trait.
— Dites-moi, demandait-il encore, feignant pour ceux qui l’observaient, de s’entretenir amicalement avec le g'erant, il avait une bonne amie, hein ?
— Oui, Monsieur Juve, oui.
— Une jolie fille ?
— Eh, eh, une assez jolie fille.
— Vous l’avez revue depuis la disparition ?
Le g'erant hocha la t^ete gravement :
— Non, Monsieur l’inspecteur, non, je ne l’ai pas revue. Je n’ai revu personne, ni elle, ni lui. Ni l’autre.
— Ah oui, r'epondait le journaliste d’un air fin. L’autre, en effet, quel 'etait son genre ?
Fandor `a ce moment, parlait au hasard. Il comprenait bien que le g'erant du Crocodilep^ut conna^itre l’oncle Baraban et sa ma^itresse, mais
— Eh bien, monsieur, il n’avait pas trop mauvais genre, `a vrai dire, on n’aurait m^eme jamais cru que c’'etait l’amant de coeur de cette petite femme.
— S’il vous pla^it ? interrogeait Fandor, repoussant d’un geste d'edaigneux une mayonnaise de langouste qu’il avait cependant savour'ee avec satisfaction. Cette petite femme et ce petit jeune homme venaient souvent ici ensemble ?
— Non, ripostait le g'erant, pas souvent, M. Baraban fr'equentait trop l’'etablissement. Ils devaient avoir peur de se faire pincer.
— En effet. Mais vous savez sans doute le nom de la femme ? Le nom de cette ma^itresse de Baraban ?
— H'elas, M. Juve, je l’ignore.
— Diable ! pensa Fandor, c’est regrettable. Vous ne savez pas davantage le nom ou l’adresse de cet amant de coeur ? poursuivit-il.
— Pas davantage.
— F^acheux.
— Croyez bien, monsieur l’inspecteur, que je suis le premier `a regretter de ne pouvoir vous fournir des renseignements plus d'etaill'es.
Fandor d'ej`a, interrogeait sur un autre point :
— Vous ne savez pas, demandait-il, si par hasard, Baraban fr'equentait dans les environs un de ces h^otels hospitaliers ?
Mais le g'erant ne le laissa pas achever :
— Monsieur, d'eclarait-il, la devise de l’'etablissement ici, est « Complaisance et Discr'etion », c’est vous dire que nous ne surveillons pas nos clients.
— Parfaitement. Eh bien, je vous remercie, je vais rapporter ces renseignements `a la S^uret'e, et ordonner des recherches. Je reviendrai probablement demain.
Le g'erant s’inclina faisant mine de se retirer. Fandor le rappela :
— Surtout, recommandait-il, pas un mot de cette enqu^ete n’est-ce pas ? Pas un mot `a personne.
— Soyez tranquille, monsieur.
Fandor songeait `a cet instant, qu’une recommandation de discr'etion n’'etait pas superflue, car, en v'erit'e, il ne se souciait point de cr'eer des ennuis `a Juve dont il venait d’usurper la personnalit'e.
Certain cependant que son enqu^ete resterait secr`ete, Fandor acheva rapidement de d^iner :
Du Crocodile, J'er^ome Fandor se rendit chez lui.
Il avait pris soin, toutefois, de mettre deux enveloppes `a la bo^ite, `a la poste de la rue de Douai.
L’une, adress'ee `a M. Havard, contenait la facture du d^iner, 'epingl'ee `a une carte de visite de Juve, l’autre adress'ee `a Juve lui-m^eme, contenait, avec la carte de visite de Fandor, la carte de police de l’inspecteur de la S^uret'e.
« Ma foi, se r'ep'etait Fandor ce soir-l`a, en s’'etendant sur son lit, je voudrais bien savoir la t^ete que fera Juve demain matin. Il sera furieux d’abord en retrouvant son
« oeil [9] » et en voyant que je le lui avais emprunt'e. Mais il sera content quand je lui apprendrai les premiers r'esultats de mon enqu^ete. »Le journaliste ferma les yeux, souffla sa bougie, s’efforca de dormir.
Il y avait `a peine dix minutes qu’il 'etait couch'e, lorsque brusquement, il se dressa dans son lit.
« Ah ca, murmurait-il, est-ce que je suis fou ? Qu’est-ce qui peut faire ce potin-l`a ? »
Il pr^etait l’oreille, il 'ecoutait attentivement.
On e^ut dit que, dans l’'epaisseur de la muraille, quelque chose s’'eboulait.
« Il n’y a pourtant pas de rats », pensa Fandor.
Il 'ecouta quelques minutes encore, puis d'ecida :
« C’est probablement de l’eau qui coule dans une tuyauterie. D'ecid'ement, je deviens loufoque, les moindres craquements m’apparaissent suspects. C’est sans doute parce que je suis dans une ambiance de myst`eres. Dame tout le monde n’a pas un assassin'e comme voisin. »
Sur ces constatations tr`es gaies, il mit la t^ete sur son oreiller. Un quart d’heure plus tard, Fandor 'etait au pays des r^eves.
13 – LA NOTE DE JUVE
Tandis que Fandor, goguenard, avait, en quittant Juve le matin m^eme de sa visite au Crocodile, salu'e le d'epart de son ami d’une phrase ironique : « Et voil`a le plus grand policier du monde, le premier inspecteur de la S^uret'e francaise qui se laisse barboter par un ami ses pi`eces d’identit'e les plus pr'ecieuses », l’excellent Juve filait, de toute la vitesse de son taxi-auto, dans la direction du Palais de Justice, sans se douter des railleries que lui adressait Fandor.