Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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`A la gare, ce fut pis encore.
La cour 'etait noire de monde, les cerveaux se montaient. En d'epit des gendarmes, le peuple se rua vers les prisonniers.
— Tiens donc, sale garce ! hurlait un ouvrier.
Et Juve eut tout juste le temps de d'etourner un poing lev'e sur la malheureuse Alice Ricard, plus morte que vive. `A cet instant, Fandor, cependant, sauva la situation.
Le journaliste empoigna le cheval d’un gendarme par la bride et le forca `a reculer vers la foule.
Il excitait en m^eme temps la b^ete qui, se cabrant, pointant, ruant, fit beaucoup mieux reculer le peuple que toutes les objurgations des repr'esentants de l’autorit'e.
— Vite, vite ! criait M. Havard.
Le chef de la S^uret'e profitait de la manoeuvre de Fandor. Aid'e de Juve, qui portait Alice Ricard plus qu’il ne la tra^inait, tandis que lui-m^eme soutenait Fernand, M. Havard se jetait dans la gare. Quelques secondes plus tard, les prisonniers 'etaient en s^uret'e dans le bureau du chef de gare, un brave homme 'epouvant'e par l’aventure :
— Attention, recommandait alors Juve, ces gens-l`a sont capables d’enfoncer les portes !
Juve sortit du petit bureau, allait commander aux gendarmes une manoeuvre d'efinitive.
— Ayez l’air de vous porter vers la gare de marchandises, dit-il. Ces imb'eciles vont croire qu’on va conduire les prisonniers par l`a, ils vous suivront et nous aurons la paix.
Juve s’'epongea le front, car il avait fort chaud, et semblait tr`es 'enerv'e. Il revint cependant retrouver M. Havard, demeur'e avec les prisonniers.
— J’esp`ere que j’ai d'etourn'e la fureur populaire, annonca-t-il. Mais sapristi, patron, vous m’avez fait peur, les arrestations en public vous savez…
Juve se mordit les l`evres car, sans y penser, il allait donner un bl^ame `a son sup'erieur.
Par bonheur M. Havard pensait `a tout autre chose :
— Hein Juve, clamait-il orgueilleusement, voil`a qui doit vous donner une rude lecon de modestie ! Je crois que l’hypoth`ese de la fugue, votre hypoth`ese, serait joliment mal accueillie par la population. Voyez-vous la fureur populaire ?
Mais Juve haussait les 'epaules :
— Ne m’en parlez pas, disait-il. C’est honteux de s’acharner ainsi sur des malheureux.
Au m^eme instant, Fandor tira sa montre et, pitoyable, renseigna Fernand Ricard :
— Vous avez encore quatre minutes `a attendre, le train passe `a six heures vingt-huit.
Mais, comme pour d'ementir les paroles de Fandor, un grand bruit secouait `a ce moment la paisible petite gare de Vernon.
— Qu’est-ce que c’est ? demandait Fandor.
— Le train de Paris, r'epliqua Juve.
Le policier, toutefois, 'etait inquiet.
Il pensait toujours aux manifestations possibles, aussi ajoutait-il :
— Monsieur Havard, si vous le voulez bien, je vais aller voir ce que font les gendarmes ?
— Allez Juve.
Prudemment, Juve quitta le bureau du chef de gare. Il faisait alors trois pas sur le quai de la station o`u commencaient `a d'efiler les voyageurs arrivant de Paris, et soudain Juve s’arr^etait, levait les bras au ciel, poussant un v'eritable hurlement :
— Ah nom de nom !
Or, l’exclamation de Juve 'etait faite sur un ton si tragique, que tous ceux qui se trouvaient `a quelque distance s’immobilisaient, s’arr^etant net.
Quant au policier, apr`es avoir lev'e les bras au ciel, il s’'etait repris `a courir, livide, affol'e, ayant v'eritablement l’air d’^etre frapp'e de d'emence.
O`u courait Juve ?
M. Havard et Fandor, qui avaient tout juste entendu le cri du policier et reconnu sa voix, sortaient `a leur tour du bureau du chef de gare. Ils ne quitt`erent pas leurs prisonniers, mais ils cherchaient `a voir ce que faisait Juve. Et alors, `a peine avaient-ils regard'e, que M. Havard et Fandor s’'elancaient en avant, semblant oublier compl`etement qu’ils avaient deux inculp'es `a surveiller.
Que se passait-il donc ?
Fandor et M. Havard venaient de voir Juve s’'elancer au collet d’un gros homme qu’il avait empoign'e des deux mains et qu’il interrogeait la voix haletante.
Ce gros homme, M. Havard et Fandor le reconnurent en m^eme temps. Tous deux criaient son nom d’une voix stup'efi'ee, ahurie, d’une voix de r^eve.
— L’oncle Baraban, c’est l’oncle Baraban ! dit Fandor.
Et M. Havard r'ep'eta :
— Oui, c’est l’oncle Baraban, c’est bien le mort !
Un quart d’heure plus tard, une sc`ene curieuse se d'eroulait dans le bureau du chef de gare.
M. Havard 'etait effondr'e sur une chaise, les bras ballants, la bouche ouverte, en apparence frapp'e de stupeur.
Pr`es de lui, Michel, souriant, m^achonnait un crayon sans s’en apercevoir. Plus loin le chef de gare, en brave homme qu’il 'etait, sanglotait d’'emotion.
Mais ceux que l’on remarquait d’abord 'etaient Fandor et Juve, qui, dans un coin, discutaient avec animation, cependant qu’`a c^ot'e d’eux, sanglotant, s’embrassant, 'echangeant des propos peu clairs, car ils s’interrompaient les uns les autres, Fernand Ricard, Alice Ricard et l’oncle Baraban se tenaient enlac'es.
— Enfin, disait Fernand Ricard, enfin, vous voil`a, mon bon oncle.
— Mais que vous est-il donc arriv'e ? criait Alice.
L’oncle Baraban, qui avait une grosse voix de stentor, dominait le tumulte en r'ep'etant :
— Ah nom d’un chien, si j’avais pens'e ? Tout ca, c’est de ma faute. Alors quoi, on vous arr^etait ? Mais ils sont fous, `a la police !
Il fallut pr`es d’une grande heure pour que l’'emotion de ces divers personnages p^ut enfin se calmer. C’est alors seulement que Juve, souriant et triomphant s’approcha de l’oncle Baraban, sur l’'epaule duquel il frappa :
— Voyons, dit-il, finissons-en. Votre neveu et votre ni`ece ont besoin de repos. R'epondez-nous, monsieur Baraban, dites-nous la v'erit'e, o`u 'etiez-vous ?
L’oncle Baraban se retourna, consid'era Juve avec 'emotion.
— Mais figurez-vous, r'epondait-il, que je ne me doutais de rien moi. C’est tout `a l’heure, en lisant les journaux, bien par hasard, que j’ai appris toute cette abominable histoire.
Il s’interrompit pour demander brusquement :
— Mais d’abord, vous, qui ^etes-vous ?