Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Juve poursuivait avec ent^etement :
— Je vous accompagne. Je veux `a toute force conna^itre Germaine.
— Non.
— Si !
Leste comme un jeune homme, Baraban parcourait `a pas press'es le trottoir de la rue Richer. Au carrefour de la rue de Tr'evise, un autobus stoppait, il y monta, s’engouffra `a l’int'erieur, puis le v'ehicule d'emarrait.
Mais le policier 'etait leste, lui aussi : il rattrapa l’autobus `a la course, sauta dans la voiture, voulut `a toute force aller s’asseoir `a c^ot'e de l’'enigmatique personnage. Le conducteur l’en emp^echa :
— Complet `a l’int'erieur, d'eclara-t-il. Une place seulement sur la plate-forme.
— C’est encore heureux, pensa Juve, que ce ne soit pas complet.
Baraban semblait ne pas s’^etre apercu que Juve avait pris le m^eme v'ehicule que lui. L’extraordinaire vieillard descendit au boulevard Rochechouart. Il tomba dans les bras du policier :
— Ah, par exemple, s’'ecria-t-il en voyant Juve, elle est bien bonne. Bonjour, mon cher.
Puis, aussit^ot il lui dit :
— Au revoir.
Baraban sauta dans un taxi qui passait, criant au conducteur :
— Rue Duperr'e.
Mais Juve avait entendu :
— Il ne sera pas dit, grommela-t-il, que cet animal me d'epistera. Il commence `a m’int'eresser singuli`erement.
Juve perdait quelques secondes `a chercher un v'ehicule pour lui. Par bonheur, il trouva un taxi. Un passant allait le prendre, le policier, sans vergogne, le bouscula, et, sans tenir compte de ses protestations, car le passant pr'etendait ^etre le premier, Juve dit au m'ecanicien :
— Cent sous pour la rue Duperr'e, place Pigalle.
— Ca colle, r'epondait l’homme qui, agr'eablement surpris de ce client inattendu sans doute, fit grincer de facon abominable ses malheureux changements de vitesse qui n’en pouvaient mais.
Quelques instants apr`es, le policier rattrapait le fuyard. Il le voyait s’engouffrer sous la vo^ute d’une maison apr`es avoir r'egl'e son taxi.
Juve paya le fiacre, et, sans rien demander `a la concierge, bondit dans l’escalier qui se pr'esentait `a sa droite. `A toute allure, Juve gravissait les 'etages, esp'erant `a chaque instant rejoindre Baraban.
Il parvint au cinqui`eme, et l`a, il acquit la triste certitude que l’oncle Baraban ne l’avait pas pr'ec'ed'e dans cet escalier. Le policier, par la fen^etre qui donnait sur la cour, voyait en effet Baraban en train de traverser cette cour et qui sortait `a l’autre extr'emit'e.
La maison 'etait double, avec deux issues, l’une sur la rue Duperr'e, l’autre sur la rue Victor-Mass'e.
Juve descendit lentement. Il avait perdu la piste de l’homme qu’il poursuivait et dont l’attitude lui paraissait de plus en plus surprenante.
Le policier n’essaya pas de retrouver son homme. Assez penaud, il rentra chez lui, et, conform'ement `a son habitude, s’'etendit sur son lit, tout habill'e. Les yeux fix'es sur le plafond, Juve r'efl'echit longuement :
— Ce Baraban, grommelait-il, m’a fichu dedans et je suis un imb'ecile. Mais tout n’est pas fini, et je saurai, oui, je saurai.
Soudain, le front de Juve se rembrunit. Il raviva dans sa pens'ee le souvenir des traits de cet homme et de ce regard perp'etuellement fuyant qu’il n’avait pas pu fixer une fois. Il se rendait compte aussi que la voix de Baraban 'etait une voix 'etrange, anormale, nullement naturelle. Tiens !
— Serait-ce possible, pensait Juve, que ce soit Lui ?
En prononcant ce Lui, Juve voyait se pr'eciser devant ses yeux un personnage, une silhouette qui ne rappelait en rien le jovial Baraban.
C’'etaient des traits durs, sinistres, qu’il entrevoyait, un visage imp'en'etrable, un masque sardonique, un regard d’acier. C’'etait une vision tragique qui surgissait `a son esprit, non point une vision de gaiet'e et de rire, mais de drame, de trag'edie, d’horreur.
— Est-ce possible ? se demandait Juve. Si c’est Luiqui se cache d'esormais sous la personnalit'e de l’oncle Baraban, qu’est-ce tout cela peut bien signifier ?
Juve s’'etait assis sur son s'eant, il discutait tout haut, avec lui-m^eme :
— Non, non, je ne peux pas y croire, c’est impossible et pourtant ?
21 – CHAUSSER LES SOULIERS DU MORT
Il 'etait `a peine sept heures. Un fiacre s’arr^etait `a quelques m`etres du num'ero 22 de la rue Richer. Trois hommes en descendirent : deux hommes aux allures d’anciens militaires, et un troisi`eme personnage qui synth'etisait le type parfait du valet de chambre de bonne maison. Le fiacre 'etait retenu `a l’heure. Il pleuvait l'eg`erement et le cocher, maussade, avait relev'e le col de son manteau.
Le valet de chambre, cependant, disait `a ses deux compagnons :
— Vous allez vous tenir devant la porte l’un et l’autre. S’il sort, arr^etez-le et mettez-le dans la voiture, vous savez ensuite ce qu’il faut en faire.
— Compris, patron, dirent les deux autres.
L’homme `a l’allure de domestique, cependant, s’introduisit dans le couloir obscur de la maison habit'ee par le fameux Baraban et dans laquelle se trouvait 'egalement demeurer l’ami de Juve, le journaliste Fandor !
Ce dernier 'etait plong'e dans le plus profond sommeil lorsqu’un violent coup de sonnette retentit `a sa porte. Fandor sursauta, cria :
Quelques instants pass`erent, un autre coup de sonnette. Fandor, qui dormait sur le c^ot'e droit, se remit sur le c^ot'e gauche, et r'ep'eta : « zut ! » avec la m^eme conviction. Au troisi`eme carillon, le journaliste bondit hors de son lit : « Bon sang bleu, fit-il, on ne peut donc pas vous foutre la paix. »
Et, s’enveloppant d’une sorte de peignoir, il s’en alla en titubant, les yeux encore tout bouffis de sommeil, ouvrir la porte de son appartement.
`A peine l’eut-il entreb^aill'ee que celle-ci fut violemment pouss'ee, quelqu’un entrait dans la pi`ece, apr`es avoir referm'e la porte derri`ere lui. Abasourdi, Fandor le suivait.
— Qu’est-ce que vous voulez ? Qui ^etes-vous ? interrogea Fandor.
Le visiteur s’inclina respectueusement devant le journaliste :