Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Le policier Juve.
`A ces mots, l’oncle Baraban tomba dans les bras de Juve.
— Ah, que je vous remercie ! Vous, au moins, vous aviez devin'e la v'erit'e. Parbleu. Oui, j’'etais en fugue avec une poule ! Dame, pour avoir soixante ans, je ne suis pas moins capable de m’amuser un peu. Mais cela, je l’expliquerai plus tard.
Et, s’interrompant pour embrasser sa ni`ece, l’oncle Baraban d'ej`a avait repris :
— Par exemple, un bonhomme que je voudrais voir pour lui dire son fait, et ne pas lui m^acher ses v'erit'es `a cet imb'ecile-l`a, `a ce cr'etin-l`a, `a cet ^ane b^at'e-l`a, c’est le d'enomm'e Havard.
Juve se mordit les l`evres pour ne pas 'eclater de rire.
— Hum, Hum, toussa Juve, ne parlez pas comme cela, monsieur Baraban. D’abord, savez-vous que vous avez eu grand tort de feindre une mise en sc`ene de cette nature ? Vous vous ^etes moqu'e de la police.
Mais l’oncle Baraban, `a ces mots, se releva, irascible.
— Eh bien, vous en avez un culot ! riposta-t-il. Moi, me moquer de la police ? Mais est-ce que je lui demande quelque chose `a la police, moi ? Est-ce que je l’ai pri'ee de venir chez moi ? Est-ce que ca me regarde si le chef de la S^uret'e veut absolument prouver que je suis mort ? D’abord, qu’est-ce que vous avez `a parler de mise en sc`ene ? O`u avez-vous vu de la mise en sc`ene ? Quand je suis rentr'e chez moi, apr`es avoir quitt'e ma ni`ece, j’'etais so^ul, sapristi c’est mon droit je suppose ? 'Etant gris, je me suis flanqu'e par terre, et j’ai saign'e du nez, j’en ai m^eme coll'e partout, du sang. Qu’est-ce qui me le d'efend, cela ? Et si, 'etant toujours ivre, j’ai cass'e des meubles chez moi, qui est-ce qui a le droit de m’en faire un reproche ? Ca ne regarde personne, tout de m^eme !
`A bout de souffle l’oncle Baraban se tut. Juve, souriant toujours, alla frapper sur l’'epaule de M. Havard, toujours compl`etement ahuri.
— Patron, commenca-t-il, je crois que nous n’avons plus rien `a faire ici. Le mieux serait de nous en aller. Demain, je reviendrai voir les 'epoux Ricard et je tirerai d'efinitivement cette affaire au clair.
M. Havard se levait d'ej`a :
— En effet, allons-nous-en.
Et, avec peine, il reconnut :
— Juve, je me suis b^etement tromp'e. Mes f'elicitations.
Les deux hommes sortirent du bureau du chef de gare, voulurent traverser le quai. Par malheur, le chef de gare avait d'ej`a parl'e, la foule connaissait d'ej`a l’extraordinaire arriv'ee de l’oncle Baraban.
`A peine Juve et M. Havard apparaissaient-ils sur le quai de la gare que la population, mass'ee dans la cour, 'eclatait en nouvelles vocif'erations :
— Hou, hou, la police, criait-on, allons, la rousse ! `A mort les flics, vivent les Ricard. Vive l’oncle Baraban ! Hou, hou, la police !
Il fallut que le chef de la S^uret'e et Juve auxquels s’'etait joint Fandor, prissent la fuite par une porte d'erob'ee pour 'eviter d’expier ch`erement l’erreur qui avait failli ^etre commise.
19 – MARCHE AU POING
Cependant, apr`es l’arriv'ee par le train de Paris de l’oncle Baraban `a Vernon, les 'epoux Ricard, naturellement, avaient aussit^ot 'et'e mis en libert'e et on avait fait honneur au retour du disparu :
— Encore un verre de vin, oncle Baraban, je vous assure que c’est du meilleur, de la premi`ere qualit'e. J’en ai plac'e un pareil dans toute la r'egion et on m’en redemande.
Avec un sourire contraint et forc'e, Fernand Ricard remplissait d’une main tremblante l’un des nombreux verres qui encombraient la table de sa salle `a manger.
Il le tendait au gros homme `a la face r'ejouie, `a la barbe blanche et aux yeux p'etillants dont la r'eapparition impr'evue avait d'etermin'e dans Vernon une si vive 'emotion.
La foule, si prompte au revirement, apr`es avoir accompagn'e les 'epoux Ricard de leur domicile jusqu’`a la gare du chemin de fer en les couvrant d’injures, leur avait fait lorsqu’ils 'etaient revenus de la gare, une conduite enthousiaste qui prouvait que, si le public 'etait absolument indign'e `a l’id'ee qu’un crime avait pu se commettre, il l’'etait d'esormais 'egalement, en songeant que l’on avait pu prendre pour des assassins deux charmantes personnes comme Alice et Fernand Ricard.
`A pr'esent, chez lui, Fernand Ricard 'etait tout souriant et d’une gaiet'e exub'erante. On forcait sa porte et il avait voulu que tout le monde p^ut rentrer, et le courtier en vins ne n'egligeait pas ces occasions inesp'er'ees pour faire appr'ecier `a ses h^otes la qualit'e de ses 'echantillons, et naturellement, il trinquait avec l’oncle Baraban qui, au milieu de tous ces gens surpris, 'etonn'es, semblait demeurer tr`es calme, encore que l'eg`erement ironique.
Quant `a Fernand Ricard, ses propos enthousiastes d'ementaient, `a coup s^ur, ses secr`etes pens'ees. Il avait beau d'eclarer que tout 'etait pour le mieux dans le meilleur des mondes depuis que l’oncle Baraban 'etait retrouv'e, revenu, il avait beau dire que cette r'eception familiale lui rappelait les sc`enes de l’Histoire sainte, et notamment l’histoire de l’Enfant prodigue, il restait p^ale et tremblant. `A deux ou trois reprises, on lui avait demand'e s’il n’'etait pas souffrant, et Fernand Ricard avait r'epondu :
— Non, non, c’est l’'emotion. Vous comprenez bien qu’`a ma place, vous seriez tout aussi retourn'e que moi.
Le fait est qu’on 'etait bien de son avis. Il y avait de quoi troubler l’homme le plus impassible du monde.
Alice Ricard se montrait aussi enjou'ee que son mari, en surface, aussi inqui`ete par en dessous. Assur'ement, elle s’'etait pr'ecipit'ee au cou du brave rescap'e et sa chevelure brune s’'etait m^el'ee `a la toison abondante et toute blanche que le beau vieillard portait sur la t^ete. Mais la jeune femme, pendant ses effusions, avait senti son coeur battre `a tout rompre.
On la regardait avec une curiosit'e malveillante. Deux de leurs amis causaient justement dans un angle du salon. C’'etait le percepteur, M. Nortier, et le p`ere Lebrenet, un retrait'e :
— Je ne suis pas bien malin, mon cher, mais les histoires d’amour et de femmes, ca me conna^it. J’ai 'et'e longtemps dans le Midi, o`u les coeurs sont chauds et les t^etes promptes. Eh bien, on ne m’^otera pas de l’id'ee que toute cette aventure, c’est une histoire de coeur.
— Parbleu, r'epliquait Lebrenet, c’est pas bien malin. Tous les journaux l’ont racont'e. Il y a deux versions. Certains pr'etendaient qu’il s’agissait d’un crime, mais d’autres, voyant qu’on n’avait pas retrouv'e le cadavre, 'etaient s^urs qu’il s’agissait simplement d’une fugue amoureuse. C’'etait m^eme la th'eorie du c'el`ebre policier Juve.
Et il ajoutait, d’un air malin, `a l’oreille de son compagnon :
— Moi, vous savez, je la connais l’existence ! J’ai fait quinze ans dans l’arm'ee comme adjudant, et j’ai vu un peu de tout. Eh bien, chaque fois qu’il se passa quelque chose de myst'erieux dans mon entourage, je dis comme l’a dit Juve : cherchez la femme.
— Toujours est-il, poursuivit Nortier, que le vieil oncle, qui m’a l’air d’un joli cascadeur, n’a pas encore parl'e de sa compagne. On pr'etend pourtant qu’il a avou'e ^etre parti avec un petit num'ero.
— Patience, nous saurons bient^ot ce qui s’est pass'e. Pour moi, cette histoire-l`a ne se termine pas, mais ne fait que commencer.
— Pourquoi donc ? demanda Nortier.
Lebrenet l’attira `a l’'ecart pour lui l^acher tout d’un trait :
— Rien ne m’^otera de l’id'ee que l’oncle faisait la cour `a sa ni`ece, que peut-^etre m^eme, ils 'etaient plus intimes qu’ils ne le semblent. Vous pensez bien, que, lorsqu’un mari tra^ine toujours dehors, et que la femme profite de son absence pour filer dare-dare `a Paris, cela signifie bien quelque chose.