Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Je vous demande pardon, je suis horriblement press'e. Je descends.
Juve 'etait demeur'e silencieux, abasourdi par cet accueil. Baraban ne le connaissait gu`ere, il l’avait juste apercu la veille. Que signifiait cette r'eception ?
— Il est peut-^etre fou, pensa Juve. En tout cas, c’est un dr^ole d’'energum`ene.
Le policier allait poser une question, son interlocuteur ne lui en laissait pas le temps, il l’entra^inait sur le palier de l’escalier. Puis, dans la demi-obscurit'e qui r'egnait, il s’approcha de Juve, le d'evisageant curieusement :
— C’est dr^ole, fit-il, je vous connais tr`es bien, et je ne vous remets pas en ce moment. Quel est donc votre nom ? Vous ne m’en voulez pas de vous le demander, n’est-il pas vrai ? Je vois tellement de monde, et il m’est arriv'e depuis quelques heures, de si singuli`eres aventures, que j’en suis tout abasourdi.
Juve se nomma.
Baraban levait les bras au ciel :
— C’est bien ce que je me disais, fit-il. Vous 'etiez `a Vernon hier soir ?
— Oui, commenca Juve.
Mais Baraban l’avait pris par le bras, l’entra^inait dans l’escalier, le contraignant `a descendre avec lui :
— Quel dommage mon cher ami, disait le joyeux vieillard, que vous ne soyez pas rest'e `a la r'eception qui m’a 'et'e faite par toute la population hier soir chez les Ricard. C’'etait d’un charmant, d’un exquis, d’un d'elicieux ! Je ne connaissais pas Vernon, la ville est coquette, les femmes y sont ravissantes, et les hommes des plus aimables. C’est 'egal, croyez-vous que c’en est une aventure, et que mes pauvres petits neveux, cette gentille Alice, cet excellent Fernand, ont eu du fil `a retordre `a mon sujet avec les gaffes de la police. Cela ne vous vexe pas au moins que je dise du mal des gens de la S^uret'e ?
— Mon Dieu ! prof'era Juve, pour ma part, je n’ai jamais cru `a un assassinat, mais bien `a une fugue !
— L`a ! s’'ecria l’oncle Baraban en secouant les mains du policier, je l’aurais jur'e sur la t^ete des enfants que je n’ai jamais eus. Vous ^etes un type 'epatant, vous ! Ca se devine tout de suite et vous avez du flair. Parbleu, vous vous ^etes dit :
Juve, compl`etement ahuri par l’'etourdissant verbiage de ce joyeux vieillard, ne pouvait pas placer un mot. On 'etait d'esormais sur le pas de la porte. Baraban passa raide devant la loge de la concierge. D’un geste de m'epris il la d'esigna au policier :
— La vilaine, fit-il, c’est elle qui est la cause de toutes mes histoires.
Cependant, la porti`ere s’approchait. Elle balbutia, larmoyante :
— Monsieur Baraban, voyons… vous m’en voulez toujours ?
Solennel, le faux Baraban d'eclara :
— Tout est fini `a jamais entre nous, madame, et je d'em'enage au prochain terme.
Cependant, Baraban s’'etait avanc'e dans la rue, une clameur s’'elevait.
C’'etaient les comm`eres du quartier qui prof'eraient leur enthousiasme et leur surprise `a la vue du vieillard, et Juve, qui le suivait difficilement dans la foule, entendait `a son sujet les commentaires les plus bizarres :
— Comme il est chang'e, on ne le reconna^itrait pas, disait la fruiti`ere, juch'ee sur un escabeau sur le pas de sa porte, cependant que deux voisines protestaient :
— Moi, je le reconnais ! Toujours le m^eme, ce Baraban, et v^etu comme un prince. On voit bien que c’est un homme `a femmes.
Baraban, cependant, s’'eloignait, 'ecartait d’un geste digne les importuns. Quelques audacieux avaient demand'e :
— Qu’est-ce qu’il vous est donc arriv'e, Monsieur Baraban ?
— Si vous voulez le savoir, lisez les journaux, il y a vingt-cinq colonnes sur mon histoire, on ne parle que de moi.
Juve avait rejoint Baraban.
— Tiens, fit celui-ci d’un air 'etonn'e, vous voil`a, cher monsieur ? Qu’y a-t-il pour votre service ?
Juve 'etait accoutum'e aux plus extraordinaires originalit'es. Toutefois, en d'epit de son flegme, il ne put demeurer impassible :
— Ah ca, d'eclara-t-il, mais vous avez toujours l’air de tomber de la lune, Monsieur Baraban ! Il me semble pourtant que vous devriez vous souvenir que j’'etais avec vous, il y a deux minutes ?
D’un air tr`es naturel, Baraban r'epondit :
— Mais certainement, mais certainement. Toutefois, je croyais que nous nous 'etions quitt'es.
Il se penchait `a l’oreille de Juve :
— Je vais retrouver une petite femme. Un petit bijou d'elicieux, quelque chose d’exquis. Alors, vous comprenez…
Juve fronca le sourcil :
— Est-ce que cet animal se moque de moi ? pensait-il, ou bien alors est-il compl`etement loufoque ?
Juve, toutefois paya d’audace :
— Mon cher Baraban, fit-il, vous ^etes un type dans mon genre qui me convenez parfaitement et je ne veux pas vous l^acher. Nous allons aller la voir ensemble, cette petite femme.
— Ah mais non, ah, mais non ! Ca n’est pas possible ! Elle sera furieuse que j’am`ene quelqu’un, m^eme un ami. Vous comprenez bien, les amoureux comme elle et moi, comme nous, ca ne s’exhibe pas, ca se cache.
— Je saurai me retirer `a temps.
— Non, non, protestait Baraban, moi je ne veux pas ! Vous comprenez, c’est tr`es g^enant. Surtout qu’elle ne vous conna^it pas.
— Est-ce bien s^ur ?
Mais il 'etait difficile de joindre le regard de l’extraordinaire f^etard. Sous pr'etexte de soleil, il avait substitu'e `a son lorgnon noir des lunettes jaunes, ce qui lui donnait une allure d’un comique extravagant. Il s’arr^eta cependant de bavarder et Juve en profita pour dire d’un air tr`es protecteur :
— Vous pensez bien, mon cher Baraban, que je suis au courant de vos amours.
Et il ajouta avec une mine attrist'ee :
— Votre pauvre neveu Fernand Ricard, vous lui en faites pousser des cornes.
— Quoi ? s’'ecria Baraban, vous savez qu’Alice… ?
— Oui, fit Juve, je sais qu’Alice…
Et celui que Juve prenait pour l’oncle Baraban, un instant surpris, reprit son aplomb :
— Eh bien, fit-il, puisqu’on ne peut rien vous dissimuler, je vais tout vous confier. Ce n’est pas avec ma ni`ece que j’ai rendez-vous. La pauvre petite, ca a chauff'e hier soir, quand elle a su que je la trompais, mais je l’ai provisoirement r'econcili'ee avec son mari. Non, celle que je vais voir, c’est Germaine, une brune capiteuse, au teint mat, on dirait une Espagnole ou une Italienne, et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’elle est n'ee `a Montmartre.