Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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— Quoi donc ?
— Monsieur Juve, vous ne connaissez pas le malheur de cette nuit ?
— Quel malheur ? Que s’est-il pass'e ?
— Monsieur Juve, c’est une chose effroyable, abominable ! M e Gauvin, notre excellent notaire, un homme que tout le monde respectait ici, que tout le monde avait plaint lorsque son fils avait paru compromis…
— Oui, oui, alors ?
— Alors, murmura tout bas le chef de gare, ce pauvre M e Gauvin s’est suicid'e cette nuit. Il y a deux heures, on l’a retrouv'e…
Mais Juve n’'ecoutait plus le brave homme. Il avait pris sa course et, le plus vite qu’il le pouvait, se dirigeait vers Vernon.
Le policier, `a cet instant, 'etait fou d’'emotion :
— Ca, pensait-il, c’est plus fort que tout, et j’'etais loin de m’y attendre. M e Gauvin se suicidant, allons donc ! C’est extraordinaire !
Et Juve, au m^eme instant, pensait que M e Gauvin s’'etait suicid'e apr`es le tirage de cette loterie o`u le 6 666 qu’il d'etenait au nom de Baraban avait gagn'e les deux cent mille francs.
— Est-ce une co"incidence ? S’est-il tu'e pour des motifs d’ordre priv'e ? Ou bien alors, aurait-il craint un scandale ? Pourtant, ce n’'etait pas sa faute, `a ce malheureux, si le billet qui gagnait le gros lot 'etait en sa possession, et si le tirage 'etait truqu'e.
Lorsque Juve arriva devant l’'etude, il n’'etait point peu surpris d’apercevoir quatre 'equipages : un vieux coup'e de ma^itre et trois automobiles, stationnant `a la porte de M e Gauvin.
— Pourtant, pensa le policier, je suppose que la maison est ferm'ee aujourd’hui ?
Juve poussa la porte d’une grille de fer forg'e, traversa le jardin, escalada le perron, et, dans le vestibule du petit h^otel, il se heurtait `a M. Varlesque, juge d’instruction :
— Eh bien, criait Juve, o`u en sont les formalit'es ?
— Enchant'e de vous voir, r'epondit le magistrat qui tenait aux formes. Tr`es heureux de vous rencontrer `a nouveau.
— Que savez-vous ? interrogea Juve. Pourquoi s’est-il tu'e ?
— Qui ?
— M e Gauvin, parbleu !
— Comment. Vous savez d'ej`a ?
— Mais naturellement, temp^eta Juve, et je suppose que vous allez me renseigner. Qu’avez-vous d'ecouvert jusqu’`a pr'esent ? Pourquoi ce suicide ?
M. Varlesque prit l’air grave :
— Je suis en train d’instruire, dit-il. Le suicide est flagrant et M. le procureur…
Au bout du corridor justement, apparaissait un autre magistrat, le procureur de Larquenais.
Juve, laissant brusquement derri`ere lui l’insignifiant juge d’instruction, bondit `a la rencontre de l’arrivant.
— Bonjour, bonjour ! cria-t-il. Et alors, que savez-vous ? Avez-vous devin'e pourquoi cet homme s’est tu'e ?
— Mon cher ami, j’ai 'et'e averti `a onze heures seulement. Nous arrivons. C’est un spectacle affreux, je vous assure.
`A ces mots, Juve fut sur le point de sauter au cou du jeune magistrat et de l’'etrangler :
— Mais r'epondez-moi donc, hurla le policier. Tout cela ca n’est pas int'eressant. Je vous demande pourquoi M e Gauvin s’est tu'e ?
— Je n’en sais rien, r'epondit tranquillement le procureur de la R'epublique. D’abord nous arrivons. Et puis, s’il s’est tu'e, ajoutait finement le magistrat, c’est qu’il avait assur'ement des raisons pour cela.
Juve `a cet instant, avait perdu tout espoir d’apprendre quoi que ce f^ut par l’interm'ediaire du Parquet de Vernon :
— Bon, fit-il, renoncant `a interroger. O`u est-il ? A-t-on chang'e quelque chose `a la disposition de la pi`ece dans laquelle il est mort ? Comment s’est-il tu'e ? Revolver ? Poison ? Menez-moi vers lui.
— L`a, l`a ! s’'ecriait le magistrat. Vous me demandez mille choses `a la fois ! Voyons, 'ecoutez-moi ! D’abord, on n’a rien chang'e `a l’aspect de la pi`ece, j’ai ordonn'e qu’on laiss^at les choses en 'etat.
— Moi aussi, confirma M. Varlesque, respectueux. J’ai r'ep'et'e vos ordres, monsieur le procureur.
— Ensuite, le malheureux se trouve encore tel qu’on l’a d'ecouvert, au premier 'etage, dans sa chambre.
— Mais qu’est-ce qui cause donc, l`a-haut ? Les gendarmes ?
— Non, des curieux qui sont venus voir, des voisins.
— Ah ca, demanda Juve, qu’est-ce que vous me chantez l`a ? Il y a des curieux ? Des voisins ? Mais nom d’un chien, il faut foutre tous ces gens-l`a dehors. Qu’est-ce qu’ils ont `a faire ici ?
Juve se pr'ecipita vers l’escalier. En montant, il demanda encore :
— Comment s’est-il tu'e ?
— Le malheureux s’est pendu.
Arriv'e dans l’antichambre du premier 'etage du petit h^otel, le policier apercut une dizaine de personnes group'ees dans le couloir qui, curieusement, examinaient une pi`ece par une porte ouverte.
Juve alors n’h'esita pas :
— Je ne veux personne ici ! criait-il. Allons, d'ep^echons, tout le monde dehors ! Sapristi, ce n’est pas un spectacle si attrayant.
La voix de Juve grondait, tonnait, dominait le tumulte. Il y eut des exclamations 'etouff'ees, le couloir se vida.
Il ne restait plus en pr'esence que le policier, le juge d’instruction, le procureur et aussi un pauvre garcon affal'e sur une chaise qui sanglotait de tout son coeur et qui n’'etait autre que le petit Th'eodore Gauvin.
Juve le vit au moment m^eme o`u il apercevait, se balancant dans le vide au milieu de la pi`ece, le corps d'ej`a roidi du malheureux notaire. Juve, `a cet instant, haussa les 'epaules. Il oublia un instant ses pr'eoccupations de police pour ne songer qu’aux malheurs du jeune homme.
Le policier courut donc vers Th'eodore Gauvin.
— Mon pauvre petit, disait-il, je comprends tout votre chagrin et toute votre douleur, mais croyez-moi, ne restez pas ici. Voyons, retirez-vous dans votre chambre, j’irai sans doute vous y retrouver tout `a l’heure.