L'Arrestation de Fant?mas (Арест Фантомаса)
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C’'etait Jean-Marie.
Jean-Marie, alors qu’il se rendait `a un restaurant voisin pour d^iner en compagnie de M. Deibler, s’'etait brusquement arr^et'e, fouillant les poches de sa veste :
— Tiens, j’ai oubli'e mes cigarettes.
Et tout naturellement, il pria le bourreau :
— Donnez-moi la clef, patron, je cours les prendre et je vous rejoins.
M. Deibler n’avait pas fait de difficult'es. Il avait d'ej`a envoy'e deux ou trois fois Jean-Marie faire des commissions au Hangar Rouge, et la sinistre brute s’en 'etait parfaitement acquitt'ee. M. Deibler, sans m'efiance, confia sa clef.
Mais 'etait-ce bien pour chercher des cigarettes oubli'ees que Jean-Marie revenait au hangar ?
`A peine la porte 'etait-elle referm'ee, `a peine 'etait-il certain d’^etre seul, face `a face avec la guillotine, que Jean-Marie parut saisi d’une sorte de joie ind'efinissable et folle.
Debout devant la guillotine, tremblant de tous ses membres, il contemplait fixement la hideuse machine, la caressait du regard, la scrutant dans ses moindres d'etails et bient^ot, entra^in'e par son 'emotion, il l’apostrophait `a haute voix :
— Te voil`a donc, disait-il, machine de mort, machine qui tue, machine qui aime le sang autant que moi, plus que moi. C’est ton couperet qui, dans un 'eclat d’acier, tranche les cous, mord les chairs, broie les os et r'epand des ruisseaux de ce sang rouge que, toi et moi, nous aimons `a respirer. Te voil`a, machine rouge, devant qui tous se troublent, devant qui tous s’effarent, devant qui tous suent de peur et que, moi je contemple avec la tranquillit'e de l’indiff'erence, avec la joie de la curiosit'e, avec la volupt'e du d'esir.
Assur'ement, Jean-Marie 'etait fou.
C’'etait un fou v'eritable qui tournait et retournait autour de la guillotine ; c’'etait un regard de folie qu’il promenait sur les montants de bois rouges, et c’'etait un geste de d'ement qui, tout d’un coup, faisait qu’il se pr'ecipitait sur le b^ati du sinistre couperet, qu’il 'etreignait de ses bras, qu’il collait ses l`evres `a la planche de la bascule.
C’'etait un d'emoniaque, que Jean-Marie.
Tandis qu’il tenait ainsi embrass'ee la guillotine, la machine de mort, il r^alait :
— 'Ecoute, 'ecoute, dans trois jours, au petit matin, on te dressera, toi ou ta soeur, sur une place de province. Dans trois jours. Entends-tu ? Tu tendras tes bras sanglants vers le ciel. Je serai l`a, moi, ton valet. Ils seront l`a, tes autres serviteurs. Nous t’entourerons de tous nos soins et de toutes nos pr'ecautions. Et puis, soudain, il y aura un roulement de tambour, les soldats que l’on aura mis en piquet d’honneur autour de toi pr'esenteront les armes. Et l’on descendra de voiture le condamn'e. Et l’on t’am`enera, pour tes noces rouges, mon ancien camarade, cet OEil-de-Boeuf, cet OEil-de-Boeuf dont tu es d`es maintenant assur'ee de broyer la vie, de trancher la t^ete.
Et Jean-Marie, comme pris d’une exaltation satanique, s’agrippant aux montants de la guillotine, se collait `a la planche de la bascule, s’y couchait, l'echait le couperet du regard, r'ep'etant d’une voix que le silence enflait en 'echos prodigieux :
— Dans trois jours, entends-tu, guillotine ? Dans trois jours. Tu fonctionneras, tu rempliras ta besogne de tueuse, tu tueras, et ce sera moi, ton valet qui aurai l’honneur d’essuyer tes l`evres sanglantes, d’'eponger ton couperet 'eclabouss'e. Dans trois jours. Tiens, d'ej`a, guillotine, je t’avais confi'e ce `a quoi je tiens le plus au monde. Mais que m’importe ? cela, ce n’est pas ton affaire, cela, tu t’en moques. Tiens, tu n’as qu’un souci, sans doute, c’est de tuer et de tuer encore. Ah, comme tu serais contente, Machine Rouge, machine qui, d’un seul geste, cr'ee de la mort, si tu pouvais m’entendre. Dans trois jours, je te dis que, dans trois jours, tu tueras.
Mais, comme arriv'e au paroxysme de son attaque de folie, Jean-Marie r'ep'etait, affol'e :
— Dans trois jours, ou tout de suite ?
Et en m^eme temps, avant que Jean-Marie e^ut seulement pu tressaillir, il 'etait pris aux 'epaules, les courroies de la bascule l’attachaient sur la planche fatale, ses chevilles 'etaient immobilis'ees. Jean-Marie 'etait li'e sur la guillotine.
— Dans trois jours ? r'ep'etait alors la voix ironique, tu crois v'eritablement, Jean-Marie, que dans trois jours seulement cette guillotine, que tu aimes d’un amour insens'e, 'epouvantable, fou que tu es, que dans trois jours seulement elle fonctionnera ? Ah c`a, Jean-Marie, tu t’imagines donc que je ne sais plus vouloir ? que j’allais tranquillement te laisser jouir de ta vie de valet de bourreau ?
Jean-Marie, li'e sur la bascule, avec des yeux hagards, des yeux o`u la peur mettait un vertige effroyable, regarda celui qui lui parlait.
Il 'etait sorti de l’ombre et il paraissait faire partie de l’ombre elle-m^eme. On ne voyait de lui qu’une silhouette, mais cette silhouette, il n’'etait pas besoin de la contempler `a deux reprises, l'egendaire et terrible.
Elle 'etait connue de tous et redout'ee de tous, en effet, cette silhouette, cette silhouette d’un homme jeune, souple, leste, vigoureux, dont le visage 'etait masqu'e d’une cagoule noire, qui 'etait v^etu d’un maillot collant noir, et qui 'etait gant'e de noir.
Jean-Marie reconnut le Ma^itre de l’'Epouvante.
Livide, d’une voix haletante, il voulut demander :
— Mais qu’avez-vous ? pourquoi ? par piti'e d'eliez-moi ?
— Te d'elier ? user de piti'e ? ah ca, Jean-Marie, mais tu deviens fou ? Tu as oubli'e ?
— Ma^itre, je vous en supplie.
— Tais-toi et 'ecoute ce que j’ai `a te dire, Jean-Marie. Tu es le valet de guillotine, tu aimes ton m'etier, or, il se trouve que dans trois jours – dans trois jours, tu le disais tout `a l’heure – tu vas avoir `a ex'ecuter, `a Quimper, un homme qui est innocent des crimes qu’on lui reproche, un homme qui m’a fid`element servi, un homme que je veux sauver, OEil-de-Boeuf. Dis-moi, Jean-Marie, peux-tu t’engager sur l’honneur `a sauver OEil-de-Boeuf ? Je ne peux pas laisser guillotiner l’un de mes lieutenants, peux-tu me promettre, toi, toi que je tiens en ce moment `a ma merci, de m’aider `a le sauver ? Veux-tu faire en sorte que la guillotine, cette guillotine sur laquelle tu es couch'e, ne fonctionne pas lorsque Deibler, `a la sinistre minute, pressera sur le d'eclic ?
— Mais cela ne sauverait pas OEil-de-Boeuf ?
— Si. Au moment o`u OEil-de-Boeuf sera couch'e sur cette bascule, au moment o`u Deibler pressera le d'eclic, si le d'eclic ne fonctionne pas, OEil-de-Boeuf est sauv'e. L’usage veut, Jean-Marie, que, lorsque le bourreau ne peut imm'ediatement accomplir son sinistre office, on d'etache le condamn'e `a mort, on le ram`ene en prison et le pr'esident fait gr^ace. La vie d’OEil-de-Boeuf est donc entre tes mains et je ne veux pas qu’il meure. Allons, vas-tu me servir ?