Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Il y a des moments dans la vie o`u la pens'ee se trouve dou'ee d’une activit'e formidable et quelque peu prodigieuse.
Alors les 'ev'enements les plus complexes, les raisonnements les plus d'elicats s’'evoquent avec une rapidit'e folle.
Juve vivait une de ces heures o`u il faut et o`u l’on peut penser vite.
Tandis que le chef des Grouilleurs attendait sa d'ecision avec une anxi'et'e qui n’'etait pas feinte, car le mis'erable estimait que son fils, dress'e par le Roi des voleurs, arriverait rapidement `a la fortune, Juve r'efl'echit, calcula, songea.
Et certainement le policier inventait alors quelque chose d’extraordinaire, de stup'efiant.
`A mi-voix, suivant son habitude, Juve grommelait en effet :
— Donner une lecon de vol, mon Dieu, j’en suis incapable !… En prendre une, tout au contraire, cela pourrait m’^etre fort utile !… D’autant plus que, demain, je pourrais bien avoir besoin de savoir voler !
Elles 'etait 'etranges, ces paroles, elles 'etaient 'enigmatiques. Elles marquaient cependant ce qui allait ^etre de la part de Juve une d'ecision irr'evocable.
— Fais venir ton fils ! ordonna le policier. Je ne sais si je pourrai me charger de le dresser !… Je ne pourrai le faire qu’`a condition qu’il me paraisse r'eellement habile, r'eellement adroit, r'eellement dou'e… Je veux l’interroger, je veux le faire travailler devant moi, ensuite je saurai quoi te r'epondre !
Une heure plus tard, Juve, souriant, fort gai, prenait cong'e des Grouilleurs.
Il s’'etait longuement entretenu avec le fils du chef. Il avait, comme il le disait, fait travailler le jeune homme devant lui. Juve avait contraint son soi-disant 'el`eve `a lui montrer comment il s’y prenait pour fouiller dans les diff'erentes poches d’un passant quelconque. Juve n’avait hasard'e aucune critique, aucun 'eloge.
— Bien, bien ! disait-il simplement.
Et lorsque le jeune homme, timidement, l’interrogeait :
— Job Askings, crois-tu que je pourrais faire quelque chose ? Veux-tu essayer de m’apprendre `a ^etre aussi habile que toi ?
Juve se contentait de r'epondre :
— J’essaierai de te former !
Mais Juve, en r'ealit'e, faisait l`a une promesse qu’il n’avait gu`ere l’intention de tenir, et pour cause. Juve, `a cette minute, quittait les Grouilleurs sans trop savoir s’il reviendrait jamais les voir autrement que pour effectuer une op'eration polici`ere quelconque `a leur sujet. Juve 'etait satisfait, content de lui.
— Ma parole ! r'ep'etait-il en s’'eloignant sur les berges, je n’ai pas perdu ma soir'ee ! Il me semble que je sais maintenant proprement voler…
Et, rentr'e rue Tardieu, Juve qui d'ecid'ement devait rouler d’'etranges projets, montait au sixi`eme 'etage, r'eveillait le vieux Jean, le forcait `a descendre dans son cabinet de travail.
Toute la nuit, Juve se livra `a de surprenants exercices.
Il priait le vieux Jean de mettre son porte-monnaie dans telle ou telle poche de son habit ; d'elicatement alors, Juve s’efforc^at de voler le porte-monnaie…
Le policier devait faire preuve de r'eelles aptitudes pour ^etre pickpocket car, lorsqu’il interrogeait le vieux Jean et lui demandait s’il s’'etait apercu de son vol, le vieux Jean, `a chaque fois, r'epondait n'egativement.
`A cinq heures du matin seulement, Juve cong'edia son valet de chambre.
— Tu dors debout, d'eclarait-il, monte te coucher !
Le vieux Jean disparut, puis cinq minutes apr`es vint trouver Juve.
— Je suis bien f^ach'e, monsieur, d'eclarait-il, mais je crois bien que j’ai perdu ma cl'e ; je ne peux plus entrer dans ma chambre, comment faire ?
— Imb'ecile ! riposta Juve. Ta cl'e n’est pas perdue, c’est moi qui l’ait vol'ee ! D'ecid'ement, je deviens tr`es habile !
Et Juve, qui pourtant 'etait un homme grave, claqua des mains, avec une satisfaction visible !
XXIV
Fant^omas, toujours !
Le domicile personnel de M. Havard, chef de la S^uret'e, se trouvait quai d’Anjou.
L’important fonctionnaire n’occupait pas un appartement 'el'egant ni somptueux.
Toutefois, son habitation 'etait distingu'ee, l’ameublement s'ev`ere et correct ; `a voir l’installation int'erieure, de graves tentures de velours qui dissimulaient les portes, les tapisseries qui ornaient les murs et l’acajou des meubles, on se rendait compte que l’on avait affaire `a quelque habitant s'erieux, occupant une situation importante dont les fonctions devaient avoir une certaine aust'erit'e.
En p'en'etrant dans le cabinet de travail de M. Havard, beaucoup de gens auraient pu se croire chez un notaire, `a en juger par les nombreux casiers adoss'es au mur et dans lesquels se trouvaient une multitude de dossiers enferm'es dans des chemises, `a la teinte uniform'ement grise.
Quiconque aurait observ'e son salon se serait dit qu’il 'etait chez un collectionneur et un collectionneur d’objets vraiment bien 'etranges, car M. Havard poss'edait en r'ealit'e un v'eritable petit mus'ee compos'e de tous les souvenirs personnels qu’il avait pu recueillir au cours de sa longue carri`ere.
Dans un 'ecrin qui lui-m^eme 'etait sous un globe, se trouvait un certain portefeuille qui avait toute une histoire.
Il avait 'et'e fait en effet avec de la peau humaine, provenant d’un assassin c'el`ebre, qui avait 'et'e guillotin'e.
Ce portefeuille avait d'etermin'e d’ailleurs, avant d’arriver aux mains de M. Havard, un formidable scandale. C’'etait tout simplement deux inspecteurs de la S^uret'e qui s’'etaient entendus avec un de leurs amis, un pr'eparateur de l’amphith'e^atre de m'edecine !
Cet homme, `a qui les policiers avaient remis le corps du supplici'e aux fins d’autopsie, en 'echange leur avait fait tanner avec sa peau un portefeuille !
Toutefois, la chose avait 'et'e connue de journaux, lesquels avaient cri'e au scandale, le pr'eparateur de l’amphith'e^atre avait 'et'e d'eplac'e, les inspecteurs punis s'ev`erement et le portefeuille saisi par le chef de la pr'efecture de police.
Ce fonctionnaire, alors, l’avait transmis `a son sup'erieur hi'erarchique et finalement, de mains en mains, le portefeuille 'etait arriv'e chez M. Havard !