Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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— Pourquoi c’est t’y que vous lui avions dit de ne point venir avant cinq heures… puisque vous n’avez rien `a faire, sauf votre respect, que de vous regarder dans une glace tout l’apr`es-midi ?
Paulette jeta un regard de m'epris sur la bonne.
— T’es gourde, Fleur-de-Vice ! fit-elle ; tu n’as pas pour deux sous de raison… Penses-tu que je vais m’appuyer cet homme-l`a tout l’apr`es-midi !… Tu crois qu’il est rigolo ?… Perp'etuellement il a le trac d’^etre d'ecouvert par sa femme, toujours il me raconte que si sa famille 'etait au courant ca ferait des histoires `a n’en plus finir… Ah non ! de cinq `a sept ca suffit !… Et puis d’abord c’est l’heure des adult`eres, et comme il est mari'e, ca lui va comme un gant !
La jeune bonne, qui avait fini le saucisson, reprit avec ent^etement :
— N’emp^eche que c’est M. L'eon Drapier, un bien digne homme autant que je pouvions le savoir par les pourboires qu’il me donne, qui paie tout chez vous !
— Ca c’est vrai, la Normande, le loyer, les meubles et le reste. Sans compter la couturi`ere, ajoutait Paulette de Valmondois, qui 'eclatait de rire puis ajoutait : T^ete-de-Pomme, va-t-en chercher les c^otelettes !
La jeune bonne ob'eissait, revenait quelques instants apr`es dans la salle `a manger avec deux c^otelettes `a demi calcin'ees.
Les deux femmes en prenaient chacune une, et Paulette, sans rien dire, grattait consciencieusement toute la partie de la viande qui 'etait transform'ee en charbon.
— Eh ben ? qu’est-ce que t’attends, interrogea-t-elle, Cordon-bleu `a la manque, pour bouffer ?
Le cordon-bleu, ou soi-disant tel, d'eclara :
— C’est tout de m^eme une dr^ole de place chez vous ; si on m’avait dit comme ca, quand j’ai quitt'e le pays, que je serais en place chez une patronne qui me fait manger `a sa table, et qui m’envoie me promener pendant tout l’apr`es-midi, j’aurions dit que c’'etait des menteries… et pourtant, c’est ben vrai tout de m^eme !…
Paulette de Valmondois 'eclata de rire.
Et, imitant l’accent de la Normande, elle reprenait :
— C’est ben vrai tout de m^eme ! Ah ! Fleur-de-Gourde, on voit que tu d'ebarques de ton patelin ; n’emp^eche que tu vas te dessaler bient^ot.
« Vois-tu, moi, quand je suis arriv'ee de la Bourgogne, c’est pas pour dire, mais j’'etais aussi moule que toi. Mais ca n’a pas dur'e, je sais y faire, et je connais mon m'etier !…
— Tout de m^eme, fit la Normande d’un air offusqu'e, c’est pas un m'etier qui convient `a tout le monde d’^etre une demi-mondaine, il faut en avoir des mauvais instincts.
Subitement, Paulette de Valmondois devint toute rouge.
— Imb'ecile ! criait-elle, si c’'etait pas que j’ai piti'e de ta b^etise je t’enverrais une carafe en travers de la gueule pour t’apprendre `a causer ! Des mauvais instincts !… C’est encore des boniments que t’as entendu dire dans la loge ?…
La Normande, terrifi'ee, s’excusait :
— S^ur que c’est pas moi qui ai trouv'e ca ! C’est la concierge qui dit comme ca qu’`a force de recevoir toutes sortes d’hommes chez vous, vous finirez par ^etre damn'ee !…
— Une imb'ecile aussi, la concierge ! gronda Paulette. Elle peut toujours chiner, elle prend bien la galette des hommes qui viennent me voir… quand ils lui donnent un pourboire. Et pour ce qui est d’avoir du vice, ma petite, apprends-le, je m’en fiche pas mal de tout le truc et de la suite !… Seulement, voil`a : on ne choisit pas ! Tu verras cela plus tard, quand tu seras d'egourdie. Il t’arrivera ce qui m’est arriv'e et ce qui est arriv'e `a bien d’autres ; on vient `a Paris pour gagner sa vie proprement, on trouve un amoureux qui vous a eu au boniment, qui vous plaque avec un gosse, on est chass'ee de partout et il faut pourtant que le petiot vive, qu’on paye ses mois de nourrice… Alors, on cherche du travail dans son m'etier, et comme on a un m'etier de cr`eve-la-faim on se met la ceinture, jusqu’`a ce qu’on rencontre dans la rue, ou ailleurs, un homme plus ou moins riche qui vous fait des propositions. On les accepte, il n’y a que le premier pas qui co^ute. Allez ! c’est pes'e, vendu, il n’y a qu’une mondaine de plus sur le pav'e de Paris ! Ces choses-l`a arrivent tous les jours, ca n’a pas plus d’importance que cela… Seulement, lorsqu’on y r'efl'echit ou qu’une imb'ecile de bonne comme toi vient vous le rappeler, alors ca vous fait monter l’eau sal'ee sous les ch^asses et le rouge qu’on se met aux l`evres vous rapplique sur le front !
« Allez, Boule-de-Beurre ! finis ta c^otelette… Seulement, vois-tu, ca fait rager quand on se demande qui c’est qu’est le plus coupable de la pauvre fille qui cr`eve de faim ou du salaud de bourgeois qui la d'ebauche !…
La Normande 'etait abasourdie. Elle aussi se sentait une furieuse envie de pleurer, car elle entrevoyait ce que pouvait ^etre la mis`ere morale de sa jolie patronne, qui lui semblait si heureuse, dans son peignoir de dentelle et ses bas de soie fins comme une toile d’araign'ee.
Au bout d’une seconde Paulette de Valmondois reprenait, apr`es avoir sorti du petit sac `a main qu’elle avait pos'e `a c^ot'e d’elle sur la table un billet de cent francs :
— Tiens, voil`a cinq louis, t’iras prendre un mandat tout `a l’heure pour le p`ere Martin, afin qu’il ne laisse pas mourir mon gosse sans lui donner `a manger !
« Et je ne les ai pas vol'es, je te prie de croire, avec le vieux s'enateur de cette nuit !…
Un coup de sonnette retentissait…
— Va voir qui peut bien venir `a cette heure, conseilla la demi-mondaine.
La Normande s’en fut ouvrir, elle revint quelques instants apr`es :
— C’est encore un homme qui demande `a vous voir.
Paulette de Valmondois, malgr'e l’amertume qu’elle avait r'ev'el'e au cours du d'ejeuner, semblait avoir repris toute sa gaiet'e :
— Eh bien, dit-elle, tu vois que ca ne ch^ome pas, mon commerce !
« Fais-le rentrer dans le boudoir et surtout lui demande pas son nom pour me l’annoncer ; ma client`ele, le plus souvent, tient `a rester anonyme !
Quelques instants apr`es, ayant au pr'ealable 'et'e jeter un coup d’oeil `a sa personne, dans la psych'e de son cabinet de toilette, Paulette de Valmondois, esquissant le sourire le plus aimable, p'en'etra dans le petit boudoir o`u l’attendait quelqu’un qu’elle salua, par habitude, d’un cordial :
— Bonjour, mon vieux !
Mais elle s’arr^eta, interdite, en pr'esence d’un personnage qu’elle ne connaissait pas !
— Oh ! Je vous demande pardon ! fit-elle, je croyais que c’'etait…
Elle ne nomma personne, n’ayant eu d’ailleurs aucune id'ee sur le visiteur qu’elle pouvait escompter.
L’inconnu cependant se levait lentement du divan sur lequel il s’'etait assis, puis articula d’une voix nette :
— Permettez-moi de me pr'esenter, mademoiselle…
— Oh ! interrompit Paulette, faut pas que ca vous g^ene, moi j’ai l’habitude qu’on ne me dise pas son nom !
« D’ailleurs, je sais pourquoi vous venez, c’est-y pas vous qui me faisiez de l’oeil hier soir, quand je soupais place Pigalle ?