La fille de Fant?mas (Дочь Фантомаса)
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`A toute vapeur, la chaloupe s’'eloigna alors du British Queenet revint sur Durban.
18 – L’AVEUGLE
Une plainte retentissait. La vieille Laetitia r^alait.
Tandis que Jupiter pris pour l’assassin de la vieille femme s’enfuyait, poursuivi par toute une meute, quelqu’un s’'etait gliss'e, en effet, chez la vieille femme, personnage qui, plus calme, plus vieux, ne se souciant aucunement de tuer Jupiter, avait eu l’intelligence de prodiguer `a la vieille Laetitia les premiers soins que n'ecessitait son 'etat.
Ce quelqu’un 'etait Sosth`ene, le m'etis rebouteux. Sosth`ene avait trouv'e Laetitia, couch'ee sur son lit, hurlant.
Le sang qui lui sortait des orbites s’'etait coagul'e sur ses cheveux blancs, sur son visage, en une 'epaisse couche rouge.
Sosth`ene avait contempl'e la vieille femme d’un air ravi.
— C’est un beau cas, s’'etait-il 'ecri'e alors, c’est un tr`es beau cas.
Il avait h'esit'e entre deux rem`edes qui lui 'etaient familiers.
Devait-il chercher deux grenouilles vivantes et les attacher sur les yeux de la malade `a l’aide d’un bandeau ? devait-il, au contraire prendre un poulet, le couper par moiti'e d’un coup de sabre et appliquer ses intestins encore fumants sur les blessures de la vieille femme ?
Sosth`ene s’'etait d'ecid'e 'equitablement.
Il mettrait une grenouille sur l’oeil droit et le poulet sur l’oeil gauche.
Il avait donc couru dans la cour de la ferme et l`a, dans la mare, n’avait pas 'et'e long `a attraper une grenouille.
Il avait enferm'e l’animal sous une bassine qu’il avait retourn'ee, puis il 'etait all'e se saisir dans le poulailler d’un jeune poulet, auquel il s’appr^etait `a passer au travers du corps, un 'enorme sabre, d'ecroch'e `a la muraille de la grande salle…
Sosth`ene 'etait si affair'e, si pr'eoccup'e par ses pr'eparatifs, qu’il accomplissait avec un z`ele de maniaque, qu’il n’avait pas entendu que quelqu’un, sautant la haie, p'en'etrait dans la ferme.
Il tressaillit, comme on l’appelait :
— Hello, vilain noir, que fais-tu ici ?
— Massa Teddy, massa Teddy.
L’apparition de Teddy le laissait d'econfit, apeur'e, anxieux.
Car Teddy ne l’aimait pas.
— Que fais-tu ici ?
— Je… je soigne…
— Qui ?…
— Je soigne Laetitia…
— Laetitia ?
— Oui, Laetitia, massa. Li ^etre tr`es malade…
— Qu’a-t-elle ?
Mais Sosth`ene n’'etait plus, lui, en 'etat de rien expliquer… Il s’effarait, donnait les marques d’un indicible 'etonnement…
Et, pointant du doigt vers Teddy, il haleta :
— Oh ! massa quoi c’est-il que vous portez ?… moi ^etre si effray'e.
Teddy portait en effet sous son bras un cr^ane, le cr^ane myst'erieux, la t^ete de mort que lui et Fandor, et qu’en d'epit des serpents, il avait pu aller prendre au creux de l’arbre, au fond de la for^et…
Teddy, malheureusement pour Sosth`ene, n’avait pas envie de bavarder. `A l’id'ee que Laetitia 'etait malade, tr`es malade, il perdit la t^ete…
Et se pr'ecipitant vers Sosth`ene, l’empoignant par le bras :
— Toi, cria-t-il, tu vas d’abord me faire le plaisir de dispara^itre, et rapidement. Si Laetitia est malade, je suffirai `a la soigner, entends-tu ? maudit sorcier ?… allez ? pars ?… d'ep^eche-toi. Quand je te vois, toi et tes rem`edes, cela me d'emange de t’'etrangler.
Sosth`ene n’insistait pas.
Il se d'ebarrassa d’un mouvement brusque de l’'etreinte de Teddy, il disparut aussi vite que cela lui 'etait possible. Teddy s’'elanca vers la ferme… Il se pr'ecipita dans la grande salle, appelant :
— Laetitia ? Laetitia ?
Puis, ne recevant aucune r'eponse, il courut `a la chambre de la malheureuse vieille.
Laetitia, `a demi 'evanouie, demeurait immobile, ne criait m^eme plus…
Mais, d`es le seuil de la pi`ece, Teddy avait apercu ses horribles blessures.
Le jeune homme aimait trop celle qui lui avait tenu lieu de m`ere, qui l’avait 'elev'e, qui, pour lui, avait trouv'e dans son coeur de femme des tr'esors d’affection et de d'evouement, pour n’^etre point boulevers'e `a ce seul aspect…
Laissant rouler sur le sol de la chambre le cr^ane qu’il avait eu tant de mal `a retrouver, Teddy tomba `a genoux pr`es du lit de Laetitia :
— Ah ! mama, s’'ecria-t-il… ma pauvre mama, que vous est-il arriv'e ?
H'elas, Laetitia souffrait au point de ne pouvoir r'epondre aux questions de Teddy.
Comme si, de savoir quelqu’un pr`es d’elle, sa douleur s’'etait exasp'er'ee, voil`a qu’elle recommencait `a r^aler sa plainte perp'etuelle, la plainte profonde, continuelle, incessante, sans cesse accrue de ceux qui sont `a l’agonie, de ceux qui vont mourir et qui semblent d'ej`a hurler l`a leur propre mort.
Alors, Teddy s’affola. Pench'e sur la vieille femme, il l’appela, guettant une lueur d’intelligence dans ses pauvres yeux qu’il voyait d'etruits, br^ul'es…
— Laetitia, Laetitia.
Mais la vieille femme r^alait toujours.
— Laetitia, Laetitia, m’entendez-vous ?… c’est Teddy c’est votre pauvre Teddy qui vous parle ?… ah ! dites-moi que vous m’entendez ?
Une seconde, le jeune homme esp'era que la vieille femme allait lui r'epondre. Le r^ale s’'etait interrompu…
— Mama, mama, haleta le jeune homme, je t’en prie ?… fais un effort ?… r'eponds-moi ? dis ?… regarde ?
Laetitia se souleva sur sa couche, et cette fois Teddy comprit le sens de son g'emissement.
— Je ne vois pas. Je ne vois plus. Je suis aveugle…
Teddy, d’un geste accabl'e, avait repos'e le cr^ane sur une table. Il revint au lit de Laetitia, il se pencha sur la vieille femme :
— Mama ! mama, ne dis pas que tu es aveugle… non, non. On te soignera. On te gu'erira. Nous te sauverons… Tu verras clair…
C’'etait le r^ale, le r^ale abominable qui r'epondait encore une fois `a la supplication affol'ee de Teddy…
En d'eclarant qu’elle 'etait aveugle, Laetitia avait dit les derni`eres paroles qu’articuleraient jamais ses l`evres blanches…