Le Voleur d'Or (Золотой вор)
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Puis elle tomba dans ses bras, et pleura 'eperdument.
Deux amies d’enfance, deux amies de Poitiers que ces deux femmes aux cheveux grisonnants qui, d'esormais, s’'etreignaient avec une affectueuse tendresse, dont l’une cherchait `a consoler la douleur de l’autre.
Elles avaient 'et'e intimes comme deux soeurs et, lorsque leurs jupes 'etaient encore courtes, elles formaient le projet de ne jamais se s'eparer dans l’existence et de toujours vivre l’une `a c^ot'e de l’autre.
Puis les hasards de l’adolescence les avaient s'epar'ees, Eug'enie Drapier 'etait venue `a Paris, tandis que Marguerite, son amie, s’en allait `a Marseille o`u son p`ere avait de gros int'er^ets financiers.
Les amies, toutefois, restaient en correspondance. Or, au bout de quelques ann'ees de s'eparation, elles apprenaient r'eciproquement de grandes nouvelles.
Eug'enie se mariait, Marguerite entrait en religion, devenait carm'elite sous le nom de soeur Sainte-Eudoxie.
Et d`es lors, l’une d’elles ayant renonc'e au monde, c’'etait la s'eparation cruelle, inexorable…
La dissolution des congr'egations avait jet'e le trouble dans les couvents les plus ferm'es, on avait connu, par le fait des proc`es, le nom, l’existence et la r'esidence de certaines religieuses. C’est ainsi qu’au bout d’une quinzaine d’ann'ees, Eug'enie Drapier avait retrouv'e son amie Marguerite, devenue soeur Sainte-Eudoxie.
La carm'elite avait quitt'e son habit de religieuse et, avec quelques-unes de ses compagnes, elle avait fond'e clandestinement, dans l’impasse de Vaugirard, une petite annexe de son ordre.
Les religieuses d'efroqu'ees vivaient l`a depuis, perp'etuellement inqui`etes `a l’id'ee qu’elles pourraient ^etre surprises, respectant en secret les r`egles de leur ordre, mais oblig'ees n'eanmoins de se m^eler au monde ext'erieur.
Cependant, soeur Sainte-Eudoxie avait, par ses tendres paroles, fait taire les sanglots d’Eug'enie Drapier.
— Je sais, articula-t-elle lentement, combien la vie a de douleur et c’est aupr`es de Dieu que je cherche les supr^emes consolations. Mais, pauvre petite Eug'enie, que t’est-il arriv'e ? Pourquoi ce visage boulevers'e ? Pourquoi cette visite `a une heure si matinale ?
Les deux femmes s’installaient alors sur les chaises de paille qui meublaient l’aust`ere parloir, n’ayant pour auditeur qu’un grand Christ d’'eb`ene suspendu au mur blanchi `a la chaux. Eug'enie Drapier racontait `a son amie, la soeur Sainte-Eudoxie, les malheurs de son existence.
Elle ne lui cachait rien de ses appr'ehensions premi`eres. Elle ne dissimulait point qu’elle avait pris son mari pour un assassin, qu’elle avait 'et'e pr^ete `a lui pardonner ses crimes et que, lorsqu’elle avait appris sa trahison et sa duplicit'e, elle avait r'esolu de rompre avec lui, de ne jamais le revoir, jamais, au grand jamais…
— Je veux entrer dans les ordres ! articulait Eug'enie Drapier, je veux ^etre carm'elite comme toi !
— H'elas ! articulait la religieuse, tu sais bien que nos couvents n’existent plus !
— Ils n’existent plus en France, articulait Eug'enie, mais il y en a `a l’'etranger ! Aide-moi `a partir, `a fuir d’ici, je te jure que j’ai la vocation…
La religieuse esquissait un geste vague. Elle en avait vu beaucoup, de ces n'eophytes enthousiastes, et peut-^etre avait-elle assist'e `a bien des sc`enes de d'esespoir, `a bien des regrets !
Toutefois, c’'etait un esprit sup'erieur qui savait que plus les d'esirs de ce genre sont spontan'es et farouches, moins il faut les heurter par des refus directs.
Sans r'epondre par une promesse `a la demande que lui adressait Eug'enie Drapier, soeur Sainte-Eudoxie voulut se faire pr'eciser les d'etails, les malheurs d’Eug'enie, sachant par exp'erience qu’`a force de dire ses peines on finit par les oublier.
C’est ainsi qu’elle apprenait dans ses d'etails la myst'erieuse histoire des assassinats survenus et la tragique mort de celle qui avait 'et'e la ma^itresse de L'eon Drapier, de cette infortun'ee Paulette de Valmondois.
Eug'enie Drapier 'etait bien trop troubl'ee pour remarquer quelque chose, sans quoi elle se serait apercue, en prononcant le nom de la demi-mondaine, qu’elle avait involontairement fait tressaillir la religieuse qui l’'ecoutait.
Au bout de quelques instants, soeur Sainte-Eudoxie demandait `a son amie :
— Tu es mari'ee depuis quinze ans, mon amie ; c’est une bien grave d'ecision que celle que tu viens de prendre ! Quitter ton mari, mon Dieu ! Passe encore ! Mais tu dois avoir des enfants ?
Eug'enie r'etorqua, l’oeil sec :
— Le ciel n’a pas b'eni notre union, je n’ai pas d’enfants, c’est peut-^etre de l`a que vient tout le mal. Si j’'etais m`ere, je serais plus indulgente et la trahison de mon mari m’inqui'eterait d’autant moins que je serais s^ure de l’affection des enfants n'es de notre amour. Tandis que, maintenant, 'etant donn'e que nous sommes l’un en face de l’autre, jamais je ne pourrai me r'esoudre `a la moindre concession et j’ai d'ecid'e de le quitter… J’ai d'ecid'e d’entrer dans les ordres.
Eug'enie Drapier s’arr^etait de parler pour pr^eter l’oreille `a des exclamations soudaines qui venaient de retentir.
Elle regarda la religieuse, soeur Sainte-Eudoxie se mit `a sourire.
— Ce n’est rien ! dit-elle, la classe vient de finir et c’est la r'ecr'eation qui commence.
Sans en avoir l’air, la religieuse attirait insensiblement son amie vers la fen^etre du parloir. Elle l’avait prise par le bras, elle l’obligeait `a regarder.
Dans le jardin, derri`ere la maison, se trouvaient une demi-douzaine de petits enfants, garcons et filles, qui jouaient joyeusement.
Le plus ^ag'e pouvait avoir cinq ou six ans peut-^etre. Trois braves femmes les suivaient pas `a pas, s’occupant d’eux sans cesse, veillant sur leur s'ecurit'e.
Les petits n’avaient pas l’air d’^etre des enfants de riches, on les devinait pauvrement v^etus sous leurs grands tabliers uniform'ement pareils, `a carreaux bleus et blancs.
Soeur Sainte-Eudoxie expliqua :
— Vois-tu, Eug'enie, nous nous adonnons d'esormais `a l’'education, `a renseignement. Ces petits que tu vois l`a nous sont `a charge, car nous ne sommes pas riches, et nous ne voudrions pas nous en s'eparer car ce sont de pauvres petits d'esh'erit'es de la nature. Leurs parents ont disparu, morts, souvent dans de tragiques circonstances, ils ont des origines qui leur feraient le plus grand tort, qui fait que ceux qui s’en occupent ne veulent point se m^eler aux autres enfants.
« Ils ne peuvent qu’avoir un espoir dans la vie, c’est qu’on ignore leurs ant'ec'edents. Fils d’assassins, enfants de criminels, malheureux ^etres engendr'es par des filles perdues, voil`a quels sont nos prot'eg'es…
En 'ecoutant parler la soeur Sainte-Eudoxie, les yeux d’Eug'enie Drapier 'etaient devenus humides.
— Pauvres petits ! murmura-t-elle.
La religieuse prenait le bras de son amie, le serrait affectueusement.
— Je sais que tu souffres et je te plains ! Au surplus, qui donc ici-bas ne porte point sa croix !… Rends-toi compte, Eug'enie, que tu n’es pas la seule, et qu’il existe de pauvres petits ^etres qui, d`es le premier ^age de l’enfance, sont condamn'es `a perp'etuellement souffrir, `a perp'etuellement lutter.